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1995, seven.

Elle se pique le doigt sur son aiguille, admire la petite sphère écarlate qui venait de se former sur sa peau. Le sang ne coule pas, se contente de s'agglutiner dans cette petite boule rouge, et Margot, sans vraiment comprendre pourquoi, elle a envie de tout laisser comme ça. Elle ne saisit pas encore réellement la valeur de son sang, la petite. Mais on l'a déjà formée aux grandes lignes de l'Histoire, et elle sait qu'un jour, lointain, ce sang là a été plus important que tous les autres. Elle est la descendante des rois et reines de la France Sorcière. On n'a de cesse de le lui répéter. Elle lève les yeux vers sa mère, qui elle n'en fait rien, gardant ses claires prunelles rivées sur son ouvrage. La petite pince les lèvres, contemple son canevas et soupire. Elle était loin, très loin de l'égaler. Si jeune, et pourtant elle avait déjà cette envie viscérale de faire comme elle - si ce n'était mieux qu'elle. Elle avait été élevée comme ça, dans l'excellence, dans la grâce. Si jeune, et pourtant déjà si déterminée à atteindre des sommets. Elle lorgne vers le ventre rebondi de sa mère, esquisse un sourire. Encore un. Elle aimait l'idée d'être la grande soeur, elle aimait l'idée d'être responsable d'eux tous. Le bébé qui les rejoindrait, dans quelques temps, elle serait encore un enfant quand Margot partira pour Poudlard. Elle pourra lui tresser les cheveux, elle pourra la porter à travers la maison, elle pourra lui raconter une histoire après la lumière de sa chambre éteinte, en cachette. « Mère? » Madame Rosier tourne le regard, lui sourit pour lui faire signe qu'elle l'écoute. « C’est vraiment joli. Ce que vous faites. » La mère baisse les yeux vers sa toile, la lève pour que toutes deux puissent l'admirer.  Les initiales de sa fille aînée s’entrelaçaient - entre elles ainsi qu’avec quelques branches et roses. Elle n’avait pas oublié les épines, car même la plus belle rose a des épines acérées.

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1999, eleven.

Elle monte les marches du Grand Escalier de Poudlard, son uniforme encore monochrome fraîchement revêtu. Elle regarde les autres, reconnaît certains visages ayant parsemé les souvenirs de son enfance. Et elle se rend compte, étrangement, que c'est la première fois qu'elle n'est pas exclusivement entourée de sang-purs -  de personne que ses parents jugeaient fréquentables. Inconsciemment, elle voyait ce moment comme celui où on l'avait jetée dans la cage aux lions. Tous ces gens qui se pressaient dans les couloirs de cette école légendaire, tous ces gens qu'elle ne connaissait pas. Elle était la seule à devoir se méfier, désormais - ses parents ne l'informeront pas des origines de chacun de ses camarades de classe, de leur histoire, de s'ils étaient digne de confiance ou de haine. Seule. Au milieu d'un troupeau d'élèves de première année, mais plus seule que jamais. Ils marchent encore un peu, écoutent le petit interlude du directeur adjoint de l'école, que Margot n'écoute pas. Elle savait déjà tout, sur Poudlard. Elle a été bercée par le nom de cette école, trépigne depuis des années à l'idée d'y mettre les pieds. Et la voilà, devant les portes de la Grande Salle, qui s'ouvrent. Ils sont obligés de se ranger par deux, et sans savoir comment, elle se retrouve à côté d'un garçon un tout petit peu plus grand qu'elle, entièrement brun, tout frêle, au point que la Rosier se demande comment est-ce que ses jambes peuvent lui permette de tenir debout. Comme elle n'avait jamais vraiment réussi à marcher droit, leurs bras se heurtent à plusieurs reprises, et ça l'agace. Elle voudrait pouvoir marcher aussi gracieusement que sa mère et éviter tout contact avec qui que ce soit, car tous était des inconnus, et elle en a peur. Ils restent côtes à côtes lors du début de la Répartition. Avant que le coeur de Margot ne commencent à battre dans sa poitrine, fort, très fort - trop fort. Elle déglutit quand elle entend son nom résonner dans la salle, alors que les applaudissements à la table de Serdaigle se taisent. Elle pince les lèvres quand elle se fraie un chemin parmi ses camarades, ferme les yeux quelques secondes quand elle grimpe les marches, souffle un grand coup quand elle s’assoit sur le tabouret. Mais elle n'a le temps de rien faire, une fois le Choipeau sur son crâne. Elle n'a même pas le temps de formuler la moindre pensée que la déchirure du tissu s'était grande ouverte et avait crié Serpentard à travers la salle. Elle ne peut s'empêcher de sourire quand elle entend la maison - sa maison - l'applaudir et l'acclamer. Elle remercie un élève plus âgé qui lui fait une place sur le banc de la table des verts et argents. On la félicite, on la regarde. Tout le monde sait qui elle est. Elle est la première de sa fraterie à entrer à Poudlard - elle est la première Rosier à s'asseoir dans cette salle depuis des dizaines d'années. « Une petite place, s'il te plaît? » Elle redresse la tête, fronce les sourcils en reconnaissant le visage de celui qui venait de parler - le même visage qu'elle avait aperçu dans l'allée, un peu plus tôt. Et elle sait qu’elle l’a déjà vu quelque part, ce visage. Avant. Il y a longtemps. Chez elle. Elle n’a pas besoin de chercher longtemps pour réussir à mettre un nom dessus – nom qu’elle n’ose pas prononcer pour le moment. Elle s'écarte sur le banc, ne le quitte pas des yeux alors qu'il s'assoit à ses côtés. Encore une fois, leurs bras se touchent et Margot, ça la déstabilise. Elle n'aime pas du tout cette proximité qui semble ne déranger qu'elle. « Borage ? » Il tourne la tête, lui adresse un léger sourire - auquel elle ne répond pas. « Borage, oui. Midas. » C’était bien ce qu’elle pensait. Elle se rappelle des après-midi dans le jardin ; de lui qui la taquinait parce qu’elle n’avait pas le droit d’aller courir ; d'elle-même, qui les regardait alors qu’elle était coincée sur sa chaise en fer forgé blanc parce qu’elle était de haut-rang et qu’il n’était qu’un sang-mêlé. Elle déglutit, finit par lui rendre son sourire, et détourne la tête. Il n’était pas inconnu, lui. Ça irait.

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2002, fourteen.

Elle se frotte les yeux, étouffe un bâillement et lève les yeux de son parchemin, les fixant sur la fenêtre, en face d'elle. Après trois ans passés dans cette salle commune, elle ne savait toujours pas si ça lui plaisait, cette sombre vue sur le Lac Noir. Mais le son des vagues qui claquaient doucement contre la vitre, il avait au moins le don de l'apaiser. Jules était parti se coucher depuis quelques heures déjà. Elle n'en savait pas plus, parce que perdue dans ses devoirs, elle perdait toute notion de temps. Quelques jours à peine qu'elle avait commencé sa quatrième année d'études à Poudlard, et elle croulait déjà sous les parchemins à rédiger et les sorts à pratiquer. Elle passe une main dans ses cheveux, reporte son attention sur la centaine de lignes qu'elle venait de rédiger, parsemées de ratures, de flèches, d'astérisques et autre symboles typiques d'un travail à recopier. Elle allait y passer le reste de l'heure qui venait de commencer, comme l'indiquait la pendule accrochée au-dessus de la cheminée, dans son dos, à droite. Elle s'étire, se dit qu'elle n'est pas bien dans cette chaise. Elle rassemble ses affaires, les presse contre sa poitrine le temps d'aller s'affaler dans un des sofas de cuir vert de la salle commune de Serpentard. Elle pose ses pieds sur la table basse en face d'elle, pliant les genoux, et se sert de ses cuisses comme support pour terminer son devoir. Elle est supposée le rendre le lendemain matin, dès la première heure de cours. Et elle n'en peut plus, bien qu'il s'agisse d'une rédaction de métamorphose - une de ses matières préférées. Il n'y avait absolument aucun bruit dans la pièce, si ce n'était l'eau du lac et sa plume courrant sur le parchemin. Rien d'autre. Alors quand elle entend des pas, elle se presse de relever les yeux. Et elle les lève au ciel quand ils croisent ceux de Borage. Un léger sourire se dessine sur ses lèvres pour répondre à celui qu'il vient de lui adresser. « T'es encore là, Rosier? » Elle s'écarte de quelques centimètres quand il s'effondre à côté d'elle, avant d'à nouveau poser ses iris sur son rouleau. « Il faut absolument que je le finisse. On doit le rendre... » « Dans cinq heures et vingt-trois minutes, ouais. Je sais. » Les yeux de la jeune fille s'ouvrent grands comme des soucoupes, et elle jette un nouveau coup d’œil à l'horloge, désormais en face d'elle - avant de balancer sa tête en arrière, ses cheveux tombant le long du dossier du canapé. « Pardonne-moi mon langage, mais... » Il la coupe avec un geste de la main, se redresse, s'asseyant plus droitement, et plonge ses yeux dans les siens. « J'attends cette vulgarité avec impatience. » Elle fait claquer sa langue entre ses dents, en signe d'agacement, et lève encore une fois les yeux au ciel. « Je suis foutue. » Il hausse les sourcils, lâche un petit rire avant de s'étaler dans le sofa comme un peu plus tôt. « Ce que vous pouvez être attristante, Miss Rosier. » Elle le fixe, parce qu'il ne parlait jamais comme ça. Et ses lèvres se déforment en un sourire, visiblement involontaire puisqu'il a l'air d'avoir du mal à le cacher. « Enfin, t'es chiante quoi. Faut que tu vives aussi un peu, tu sais. » Elle avait failli lui asséner un coup de manuel de Métamorphoses sur l'épaule. Mais la suite de sa phrase l'avait faite se raviser. Elle pince les lèvres, secoue doucement la tête - et il soupire. « Vous me faites marrer, les purs. » Il avait déversé tout le dédain dont il était capable dans ce simple mot, et la petite brune, ça l'avait faite frissonner. « Vous nous faites croire qu'on est des moins que riens à côté de vous, mais en fait, vous êtes tous des pantins. Vous faites ce qu'on vous dit, un point c'est tout. Tu t'écoutes jamais, Margot. J'suis même pas sûr qu'il y ait la moindre voix à écouter, là-dedans. » Il avait terminé avec un léger sourire et deux petits coups de doigts sur la tempe. Elle avait acquiescé, sans vraiment savoir pourquoi. Elle a fermé son manuel, roulé son parchemin, fermé sa bouteille d'encre et s'est levé.« Bonne nuit, Midas. » « Dors bien, Frigida. » Cette fois, elle abat le livre sur son épaule, ils rient quelques dixièmes de secondes, et elle quitte la pièce, sans savoir que le regard du sang-mêlé ne l'avait pas quittée.

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2004, sixteen.

Elle s’est assise dans les marches des escaliers qui menaient au dernier étage du manoir Rosier, celui où se trouvait sa chambre. Elle avait d’abord voulu y monter, mais elle s’était soudainement sentie vidée de ses forces et avait décidé de rester là. De toutes manières, elle était loin de tous les autres, et c’était tout ce qui comptait. Elle avait détaché le chignon qu’on lui avait fait avant qu’il n’arrive - avant que tout ne change. Elle n’a pas encore pleuré. Elle ne sait pas vraiment si elle le fera. Ce qu’elle sait, c’est que son rang vient de la rattraper, une bonne fois pour toutes. Elle contemple le diamant autour de son annulaire droit, une énième fois. Elle ferme les yeux, s’efforce de saisir toute l’ampleur de la situation. Elle venait de passer de promise à fiancée, de fille aînée à future femme, de jeune fille à jeune femme. Scellé, son destin l’avait toujours été – mais jamais il ne l’avait été autant qu’à cet instant précis. Elle n’entend même pas l’elfe quand il s’approche d’elle et s’assoit à côté d’elle, assez petit pour rentrer dans le minuscule espace entre elle et la rambarde de l’escalier. Elle ne se rend compte de sa présence que quand il toussote un peu. Elle baisse les yeux vers lui, parvient à lui adresser un minuscule sourire, presque imperceptible. « C’est une bien jolie bague qu’on a offerte à Miss Margot.» Elle opine du chef. C’était indéniable, l’elfe avait raison. La bague était magnifique. Resplendissante, à l’image des deux familles qui allaient s’unir une énième fois grâce aux deux jeunes gens. « Pokpy suppose que des félicitations sont d’augure ? » Elle prend une grande bouffée d’air. Félicitations. « Tu peux aller féliciter Monsieur et Madame pour la vente de leur aînée, si tu veux. » « Pokpy ne pense pas que Miss Margot ait été vendue, vraiment, il ne le pense pas du tout. » Elle ricane, Margot, parce qu’elle sait pertinemment de quoi il s’agit. Elle le savait, que ce jour arriverait. Elle le savait, qu’elle n’aurait pas son mot à dire. « Evidemment, tu ne répéteras pas ce que je viens de dire… » Il se relève, tire sur les pans du torchon de cuisine qui lui servait d’habit. « Pokpy n’oserait pas une chose pareille, vous le savez. Les bons elfes gardent tout pour eux, Miss Margot, et Pokpy est un bon elfe, Miss Margot. » Il s’éloigne un peu, descend quelques marches à pas rapides, avant d’en remonter deux ou trois et de plonger ses grands yeux noisettes dans ceux de sa maîtresse. « Miss Margot est attendue dans la salle de réception pour prendre un thé avec Messieurs et Madame Malfoy. Le maître a chargé Pokpy de le lui demander. » Demander. Mais voyons. Elle acquiesce, se lève à son tour et lisse les plis de sa robe écrue, cousue pour ce jour particulier. Et puis, l’elfe à ses côtés, elle descend les escaliers jusqu’au rez-de-chaussée, où tout le monde l’attendait. Comme d’habitude, elle ne déçoit personne. Sourit quand il le faut, prend la parole quand il le faut – et donc, se tait quand il le faut. Elle se tient droite à la droite de Caelius, boit son thé sans aucun bruit parasite, garde les bras le long de son corps et les doigts enlacés sur son ventre. Irréprochable. Alors qu’à l’intérieur, son cœur et son corps tremblaient de peur et de colère.

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2005, seventeen.

Personne n’avait jamais vu Margot Rosier courir, et encore moins dans les couloirs de Poudlard. Elle était toujours en train de marcher, peu importe si elle était pressée ou non. Depuis qu’elle avait été nommée préfète, deux années auparavant, on la voyait souvent roder dans le château, comme sa mission le lui demandait. Elle reprenait ceux qui devaient être repris, saluait d’un signe de tête ceux qui le faisaient en premier – parce que la plupart des élèves se sentaient obligés de la saluer. Elle était Rosier, princesse déchue. Elle était Serpentard, crainte et respectée. Elle était royale, calme et discrète, gracieuse et silencieuse. Et elle ne courait jamais. Mais ce jour-là, l’étiquette et les mots de sa mère avaient quitté son esprit pourtant si bien éduqué, et ses jambes s’étaient comme activées toute seule. On était venu la trouver dans les couloirs, où elle s’était assise avec Midas, à l’abri des regards indiscrets. Elle avait dû quitter son étreinte et ses lèvres parce que son professeur de Botanique lui avait demandé de le suivre, le visage grave, la voix solennelle. Il n’avait pas fallu plus de quelques secondes à la jeune femme pour commencer à s’inquiéter. Sur le chemin, alors qu’elle marchait à vive allure à la droite du professeur, son pouce faisant tourner sa bague autour de son annulaire, il l’informa qu’il était arrivé quelque chose à Marius – et elle ne l’attendit pas pour se mettre à courir jusqu’à l’infirmerie. Elle pousse la lourde porte de bois, annihile rapidement la distance entre l’entrée et le lit où on avait installé son petit frère, devant lequel elle ne s’attendait pas à le trouver, lui. « Jules ? » L’héritier tourne la tête vers son aînée, s’approche d’elle, et elle s’empare de son bras, plus par automatisme que par réelle volonté. « Qu’est-ce que tu fais ici ? » Elle avait chuchoté sa question, parce que l’infirmière n’avait pas besoin de savoir que la présence d’un parent était intrigante. Mais la question se posait tout de même : qu’est-ce que Jules pouvait bien faire au chevet du frère qu’il méprisait ? Il ne se préoccupait jamais de son sort, l’ignorait ouvertement – attitude qui avait le don d’à la fois énerver Margot, mais aussi de lui briser le cœur. . « Marius est peut être un idiot, mais c’est aussi un Rosier. » Et la grande sœur, elle ricane, peut-être un peu sèchement. Parce qu’elle sait pertinemment ce que cela veut dire. Il n’allait plus pouvoir se cacher, maintenant, le petit roi. Il venait de lui prouver qu’il l’aimait, malgré toute la froideur dont il faisait preuve quand le Serdaigle était en sa compagnie. Il venait de prouver que pour lui aussi, famille voulait dire amour. Il s’éloigne, la forçant à lâcher son bras, la laissant seule avec leur frère endormi et les potions qui reposaient sur la table d’appoint, à sa droite. Elle s’assoit sur le matelas, enlace ses doigts dans les siens, regarde ses traits paisibles – trop paisibles, pour un blessé. On avait dû le plonger dans un sommeil magique le temps que les potions fassent effet. Quelques minutes après que Jules soit parti, Alix la rejoint, s’installant sur une chaise à côté de Margot. Elles restent ainsi une bonne dizaine de minutes, alors qu’elles étaient informées de ce qui était arrivé à leur frère et de son état. Jusqu’à ce que Margot se relève, lissant sa robe noire et rajustant sa cravate verte et argent. « Je vais envoyer un hibou au manoir. Leur dire de ne pas s’inquiéter. » Elle passe une main rassurante sur l’épaule de sa cadette, et quitte à son tour l’infirmerie, refermant délicatement la lourde porte. Midas l’attendait à l’extérieur, les mains dans les poches, les cheveux en bataille, comme d’habitude. Elle ne dit rien, se contente de s’approcher de lui et de se laisser faire quand il passe un bras autour de ses épaules le temps de se rendre à la volière, où elle avait annoncé vouloir se rendre. Il n’a rien dit non plus, parce qu’il savait que Margot n’aimait pas parler, dans ce genre de situation. Il s’est contenté d’être avec elle. Et c’était bien assez.

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2010, twenty-two.

Le transplanage lui fait tourner la tête plus qu’à l’accoutumée ; alors quand ses pieds se posent sur le sol en face l’entrée du manoir Rosier, elle se courbe, appuie ses mains sur ses cuisses et souffle quelques secondes avant de se redresser, et de contempler la bâtisse avec un sourire vide de sens. Elle pousse le côté droit du portail de fer forgé, titube jusqu’à la porte d’entrée, s’arrêtant au milieu des marches du perron pour reprendre de l’équilibre. Elle a bu, beaucoup trop, mais pas assez pour oublier que sa famille dans son intégralité était très certainement endormie. Alors c’est lentement, dans l’intention de ne pas produire le moindre son, qu’elle pousse la porte et qu’elle entre dans le couloir, se félicitant à voix basse de ne pas avoir fait grincer les gonds. Elle retire ses chaussures qu’elle envoie se ranger à leur place d’un vif coup de baguette, entreprend de grimper les quatre étages de marches qui la séparent de son lit, manquant plusieurs fois de les dévaler dans le sens inverse, emportée par la gravité à laquelle elle peinait à résister. Jusqu’à finalement atteindre sa chambre, et soupirer une fois la porte close. Sa tête était sur le point d’exploser, son estomac encore retourné par le transplanage, et son cœur chamboulé par la personne qu’elle avait recroisée, par pur hasard. S’il n’avait pas été là, Borage, elle serait encore au Chaudron Baveur avec ses verres de whisky Pur-Feu. C’était la première fois qu’on la reconnaissait, là-bas. C’était la première fois que quelqu’un s’était dit elle ne devrait pas être là, elle n’a rien à faire là, elle se tue à petit feu. Deux années qu’elle sortaient plusieurs soirs – nuits – par semaine, chaque fois avec des gens différents. Deux années qu’elle découchait sur une base plus que régulière, jamais pour le même homme. Deux années qu’elle laissait son nom de famille chez elle, qu’elle abandonnait Margot pour n’utiliser que Constance, prénom que personne ne pensait à coller sur le visage de l’aînée Rosier, elle à qui on ne pouvait strictement rien reprocher. Elle s’assoit sur son lit, entreprend de défaire les attaches de sa robe bordeaux et serrée quand une voix la tire de ses pensées et occupations. « C’est à cette heure-là qu’on rentre ? » Margot sursaute, plonge son regard dans celui de son portrait, en face de son lit à baldaquin. Elle soupire, se passe les mains sur le visage. « Tu es un tableau. Si la magie te donne le pouvoir de parler, je te donne l’ordre de te la fermer. » La Margot représentée ici, elle n’avait que dix-sept ans. Mais pour une raison qui lui échappait, elle parlait comme la vraie Margot, celle qui avait vieilli et mûri. Comme si son caractère s’était calqué sur la fille de peinture. « Bon, alors ? C’était quoi son nom, à celui d’aujourd’hui ? » La jeune femme ricane alors qu’elle lance sa robe sur le fauteuil de la pièce, attrape la chemise de nuit accrochée au porte-manteau grâce à un accio informulé. « Midas Borage. » « MIDAS BORAGE ? » Margot laisse un long “shhhh” s’échapper de sa gorge. « Parles plus bas, par Merlin ! Tu veux qu’on nous entende ? » Le portrait avait plaqué ses mains sur sa bouche, les yeux grands ouverts. Elle avait à peine écarté les doigts de ses lèvres quand elle a repris la parole. « Mais t’es complètement folle, ma pauvre fille ! Midas. Borage. Mais. Margot ! » Et la jeune apprentie du Ministère la coupe, songeuse. « C’est comme ça qu’il m’a appelée, oui. Margot. » Personne ne l’appelait Margot, là-bas. Personne. Elle s’allonge, se débat avec ses draps trop bien bordés pour se glisser dessous. Elle se retourne sur le ventre, passe ses bras sous son oreiller, et soupire. « Quoi, c’est tout ? Tu ne m’en diras pas plus ? » « Tais-toi, la gouache. Laisse-moi dormir. » Et les deux se taisent, les deux s’endorment – mais seule la sorcière rêve des bras de son amant – de ce qui restera, elle en est certaine, l’amour de sa vie.

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2016, twenty-eight.

Ses talons noirs claquent sur les dalles lisses et brillantes de l’atrium, quelques secondes après être sortie d’une cheminée et avoir essuyé les restes de Poudre de Cheminette de la jupe de son tailleur bleu marine. Elle redresse la bandoulière de son sac en cuir alors qu’elle évolue à travers la foule des employés du ministère, répond au salut de certains, aux regards noirs d’autres. Elle n’était pas aimée de tout le monde, la jeune sorcière. Les décisions auxquelles elle prenait part n’étaient pas au goût de la majorité du monde magique. Mais elle n’en avait que faire, de tout cela. Elle ne faisait que son travail ; et son travail, c’était le seul endroit où elle pouvait faire parler son opinion et son cœur en toute liberté. Être payée pour quelque chose qu’elle ne pouvait pas faire avec les siens – ô, douce ironie. Elle rentre dans un ascenseur, évitant une note de service plus rapide qu’elle. Compressée dans cette cage de fer, elle adresse de nouveaux sourires à ceux qu’elle croise et reconnaît. Elle pense à tous les problèmes mineurs qu’elle allait devoir traiter aujourd’hui, pince sa lèvre inférieure en se rendant compte qu’elle a un rendez-vous par cheminée avec un de ses homologues danois plus tard dans la matinée. Elle pense à ses talons qui lui font affreusement mal aux pieds, mais dont elle ne peut pas se plaindre. Elle pense à ce soir, quand elle devrait rentrer et dîner avec sa famille tout entière pour la première fois depuis des jours, elle qui avait mangé au ministère plusieurs soirs d’affilée. Elle pense à ces conversations banales et habituelles qu’elle allait devoir alimenter, elle qui trouvait ces mondanités plus insupportables chaque jour. Il était arrivé, ce jour qu’elle n’avait jamais redouté ; celui où elle étoufferait. Elle atteint finalement le niveau six, comme le lui annonce la voix qu’elle connaissait par cœur. Département de la Coopération Magique Internationale. Et ses talons claquent à nouveau, alors qu'elle pénètre dans l’hémicycle où se réunissaient chaque jour ceux qui siégeaient à la Confédération Internationale des Mages et Sorciers. Elle s’arrête un instant pour discuter avec Capheus Greenberg, à côté duquel elle s'asseyait lors de toutes les séances. Ils montent les marches ensemble, continuant d'alimenter leur conversation sur ce nouvel amendement que très peu des Mages britanniques voulaient apporter au Code du Secret Magique, mais qui était tout de même sérieusement abordée par la Confédération. Limiter les recours au sortilège d’Amnésie sur les Moldus susceptibles de découvrir l’existence de leur monde – là reposait l’idée la plus stupide jamais offerte aux oreilles de Margot Rosier. Elle ne comprenait même pas comment est-ce que cela avait bien pu effleurer l’esprit de qui que ce soit. Elle s’installe à son siège, sort toutes ses affaires de son sac et commence à vérifier son emploi du temps de la journée, jouant machinalement avec la bague de Caelius – alors que son collègue avait repris la parole. « Les Moldus. Que se passerait-il, s’ils venaient à savoir ? » Elle ne lève pas les yeux de ses parchemins, lâche simplement un rire jaune, ses lèvres se fendant en un sourire moqueur. « Ces obèses ignorants incapables de voir plus loin que le bout de leur nez. » Elle n’en pensait pas un mot. Elle avait surtout peur pour le monde magique et sa sécurité si les Moldus en apprenaient l’existence. Mais eux, ces pauvres citoyens. Il ne demandait rien à personne. Ils avaient de la chance, eux.