Il marchait d'un pas décidé encore et encore dans la nuit. Il s'enfonçait de plus en plus dans la pénombre sans savoir où allait. Il marchait depuis des minutes, des heures alors que la pleine lune ne faisait que monter dans le ciel. De temps en temps, il entendait le hurlement d'un loup, d'un loup-garou plutôt et pourtant, il ne prenait même pas la peine de se retourner. Il n'était pas revenu ici depuis plusieurs années, depuis dix ans. Mais aujourd'hui était un jour spécial, aujourd'hui il s'agissait d'un anniversaire, un anniversaire morbide. Le vent s’engouffra dans les pans du manteau ouvert du jeune homme et il ne frissonna même pas au contact de ce vent glacial, il était ailleurs. Sa tête était ailleurs. Cette nuit encore il n'avait pas réussi a dormir, cette nuit encore les images, les cauchemars l'avaient envahis. Ne pouvait-il donc pas vivre en paix ? Dix ans, dix longues années à errer dans l'ombre, dix longues années à se voiler la face. Dix longues années à survivre plutôt que vivre. Il n'était plus que l'ombre de lui-même depuis ce fameux soir. Il n'était plus rien, quelque chose s'était brisée en lui, une chose que personne n'avait vu. Il avait l'impression d'avoir perdu son âme. Autrefois ses pupilles possédaient en leur cœur une lueur éclatante, une lueur qui réchauffait les cœurs mais elle avait disparu. Éteinte, soufflée la pauvre petite lueur. Elle n'avait pas survécu à l'accident. L'accident... Ce terrible hiver où Zénon n'avait pu sauver son amie, cette terrible nuit où les loups avaient hurlés à la lune.
Avançant toujours et encore, il reconnaissait petit à petit les lieux. Des arbres, des buissons lui étaient familiers. Il était tout prêt de l'endroit qu'il cherchait a atteindre. Soudain, il ressentit un furieux besoin de fuir, une curieuse envie de rebrousser le chemin. Il n'avait pas envie d'être ici, il n'avait pas envie de se souvenir. Il avait tellement besoin, besoin d'oublier, besoin de pouvoir changer le passé. Mais lui, pauvre homme qui n'utilisait jamais sa baguette ne savait comment changer le passé. Il était donc condamné à se rappeler ce qu'il avait fait. Il avait une fois espéré pouvoir oublier en utilisant un sort d'oubliette mais malheureusement pour lui, le sort n'avait pas marché. Les souvenirs étaient trop profondément ancrés en lui, impossible a anéantir. Alors il continuait a vivre avec tout cela, a boire encore et encore pour mieux apaiser sa peine, à éloigner de lui tous ceux qu'il l'aimait pour ne jamais leur faire du mal. Zénon était seul, terriblement seul mais il ne pouvait s'empêcher de penser que cela était la meilleure solution. Il ne voulait pas blesser une autre personne, il ne voulait plus faire de mal. Il était un danger, un danger pour tous ses proches et afin de les préserver, il était horrible avec eux pour les faire fuir. Pour beaucoup cela avait marché mais certains encore continués à s'accrocher.
L'air glacial lui rappela qu'il ne devait pas traîner, en pleins hiver, les températures étaient basses. Pourtant, il était prêt à y rester toute la nuit. Au bout milieu de la forêt qui avait bercé son enfance, il vit soudainement ce qu'il cherchait. Devant lui, se tenait un lac gelé, un lac où tout avait commencé. Une bouteille de whisky à moitié entamée dans la main, il avança en direction de ce lac. Les flashs, les souvenirs, les visions ne tardèrent pas à se mélanger au présent et bien vite, l'image de la petite Rose lui apparue devant lui. Il était persuadé que la jeune fille était là. Toujours aussi souriante, toujours aussi douce et avenante. Elle marchait sur la glace d'un air innocent, presque enchantée de pouvoir glisser. Zénon prit une nouvelle gorgée de sa boisson. Dix ans, dix ans que son amie Rose était morte par sa faute. Dix ans qu'elle avait glissé sur la glace parce qu'il lui avait demandé de le suivre. Dix longues années qu'il n'était pas revenu ici. « Arrête de me narguer Rose ! Que veux-tu ? Tu n'en as pas marre de me tourmenter dans mon sommeil ? » Hurla t-il à la vision qui lui faisait face. Il vit la douce, la naïve Rose lui sourire sans répondre. « Arrête de me faire souffrir, de me hanter ! » Il prit une nouvelle gorgée de Whisky avant de rejoindre le lac geler dans l'espoir vain d'attraper la petite fille. La fine plaque de glace commença a craqueler sur le poids du jeune homme mais il n'en avait que faire, il voulait rejoindre Rose.  « C'est moi, c'est moi qui aurait du tomber ! C'est moi qui t'es forcé a marcher sur le lac. » Il jeta sa bouteille vide au sol qui se brisa en plusieurs morceaux. Il avait pris une vie, il avait volé la vie de sa plus proche amie, l'avait arrêté trop tôt, trop vite. « Tout est de ma faute... » Murmura t-il. Doucement, il se laisse tomber à genoux sur la glace qui s'effrita encore plus. « Je ne mérite pas de vivre. » La glace céda sous son poids.
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