⤜ alors autant choisir la folie.
Manoir des Malfoy, Wiltshire, décembre 2005.

Vent du Nord et froid sibérien, l'hiver a étendu son manteau sur la campagne anglaise. A l'intérieur de l'imposant manoir, on ne se préoccupe pas de la température extérieur, car les nombreuses cheminées de la demeure tournent à plein régime pour réchauffer les habitants. Assise en tailleur sur un sofa, Phaedre relis sans cesse la même page sans en comprendre un seul mot. Elle est si fatiguée de travailler à ses devoirs que la tête lui tourne. C'est Noël, et pourtant ses parents l'obligent à réviser d'arrache-pied pour les examens de fin d'année. La jeune fille sait bien que les ASPICS sont primordiaux pour son futur emploi, mais dans l'immédiat, elle ne songe qu'à se reposer un peu. Frottant ses yeux rougis, elle jette un regard à Sagitta, installée devant la cheminée et occupée à mémoriser un nouvel alphabet. Depuis l'accident qui lui a coûté la vue, sa petite soeur fait preuve d'un courage étonnant pour son âge, et s'efforce de s'adapter à sa nouvelle situation. Phaedre a été profondément touchée de voir Sage ainsi blessée, et depuis elle l'entoure de toutes les attentions, assumant presque un rôle de seconde mère. « Et pourtant, quelle plaie, cette gamine... » Phaedre se fige. Cette voix glaciale et méprisante, elle lui est familière, sans qu'elle puisse parvenir à identifier son origine. Elle a beau chercher des yeux la provenance de ce son qui la cloue sur place, il n'y a qu'elle et Sagitta dans la pièce. « Oh non, ce n'est pas comme ça que tu me trouveras. Je suis partout et nul part à la fois. » Affolée, Phaedre est incapable de prononcer un mot, paralysée par la peur. Elle n'ose pas un mouvement, effrayée à l'idée d'alerter sa petite soeur. Soudain, surgissant du néant, elle apparaît dans le salon. Elle, le parfait reflet de Phaedre. Elle est toute en maigreur effrayante, cheveux décoiffés et regard fou. Un sourire cruel s'étire sur ses lèvres exsangues. « Bonsoir, petite Phaedre. » Tétanisée, la jeune sorcière ne peut que contempler l'étrange apparition qui s'avance vers elle d'un pas lent, vénal, pour venir prendre place à ses côtés. Elle passe une main dans les cheveux blonds et lisses de la jeune fille, jouant nonchalamment avec une mèche. « J'ai toujours aimé cette couleur, cette pureté, dans ta famille. Dommage qu'elle soit entachée par ton frère et ta soeur. » La main glisse de ses cheveux à sa joue, la force à regarder Sagitta. « Oui, tellement dommage... Compter une infirme dans ses rangs, quelle honte pour les Malfoy, tu ne trouves pas ? Il vaudrait mieux s'en débarrasser tout de suite avant que l'histoire ne fasse le tour des neuf sacrées. Avant qu'elle t'empêche de devenir reine. » Le ton est mièvre, sournois. Phaedre n'ose toujours pas dire un mot, hypnotisée par la jeune femme. Ces mots, ces idées, ne lui ont jamais effleuré l'esprit, alors d'où viennent-ils ? Ils ne peuvent être inconscients, elle le sait. Elle l'espère. « Ta baguette. » Phaedre baisse les yeux, sentant d'un coup le poids de l'objet dans sa main droite, sans savoir comment il se retrouve là. « Un mot. Tu connais la formule, alors lève-toi. » Mécaniquement, elle s'exécute et pointe sa baguette magique sur Sagitta, inconsciente des mouvements de sa soeur aînée. Elle a raison, songe-t-elle un instant. L'opprobe qui éclaboussera sa famille quand on apprendra que Sagitta est aveugle, Phaedre ne pourra pas le supporter. Elle, si fière de sa famille et de son histoire, ne pourra pas se relever après un tel scandale. Autant en finir maintenant. Tellement d'enfants meurent de causes inexpliquées, encore aujourd'hui. Il suffirait d'un sortilège, aussi impardonnable soit-il. Déterminée, elle serre sa main sur la poignée de sa baguette. « Avada Ked... » « Phaedre ? » La voix d'Orcus résonne dans le salon, dur et froide. Phaedre suspend son geste, tandis que l'apparition éclate d'un rire mauvais et s'évanouit dans le feu de la cheminée. « Orcus ? Phaedre ? Que se passe-t-il ? » Sagitta s'est tournée vers eux, plus par habitude que par nécessité. Ses yeux morts fixent le vide entre Phaedre et Orcus. Ce dernier regarde sa sœur aînée avec horreur, comme s'il ne la reconnaissait pas. Elle-même n'est pas sûre de se reconnaître. D'un geste, elle rejette sa baguette sur le canapé et s'agenouille devant Sagitta, frissonnant malgré la chaleur qui règne dans la pièce. « Ne t'inquiètes pas, ma douce, je me suis seulement sentie mal. Je travaille trop, sûrement... » Elle ne dira pas la vérité à Sagitta. Pas maintenant. Elle attendra de comprendre ce qui s'est passé, de comprendre pourquoi elle a tenté de la tuer. Elle embrasse distraitement les cheveux blonds de Sagitta et se relève pour rejoindre Orcus. « Vas chercher père et mère et demande leur de me retrouver dans ma chambre. Je dois leur parler. » Surpris par le ton de sa voix, son frère ne discute pas l'ordre et s'exécute, quittant précipitamment le salon. Après un dernier regard pour Sagitta, elle suit son exemple et referme la porte derrière elle, prenant appui sur le panneau de bois. « Ne crois pas qu'elle aura toujours cette chance... Elle seule te barre le chemin jusqu'au trône, mais je saurais t'y mener, quoi qu'il en coûte. » « Je ne te laisserais jamais lui faire du mal, ni à elle ni à qui que ce soit d'autre, tu m'entends ? » « Oh, mais ce n'est pas moi que tu devras retenir... »


⤜ fais moi l'enfer.
Londres, février 2016.

Un voile doré s’étire devant ses yeux lorsqu’elle émerge, allongée dans son lit. D’un geste impatient de la main, elle coince la mèche de cheveux blonds perturbatrice derrière son oreille, retrouvant d’un coup la vue. En face d’elle, plongé dans un sommeil absolu, repose son bel Adonis. Son souffle profond soulève à intervalle régulier sa cage thoracique, et elle résiste à l’envie de poser la main sur son ventre pour le sentir vivant, vibrant, sous ses doigts. Comme à chaque fois qu’ils parviennent à arracher quelques heures à leur quotidien pour se consacrer l’un à l’autre, elle retrouve ses émois adolescents, simplement heureuse de la présence d’Helios à ses côtés. Il l’apaise, calme et éloigne les voix, mieux que n’importe quelle potion ou poudre psychotrope ne saurait le faire. D’un geste tendre, elle effleure les poils drus de sa barbe, souligne les cernes mauves sous ses yeux, reflet des siennes. L’un comme l’autre ne dorment que très peu, agités par leurs démons personnels. Si Phaedre connaît bien les siens, ceux de son amant lui sont inconnus. Elle sait qu’il est souvent frappé de visions prémonitoires, mais ignore à quelle fréquence elles lui apparaissent, et la forme qu’elles prennent. Il refuse de lui en parler, très simplement. Elle a bien essayé de lui demander, mais elle s’est toujours heurtée à un mur. Elle a donc cessé de demander. « C’est parce qu’il se moque bien de toi… » souffle une voix familière à son oreille. La sorcière se pétrifie instantanément et lentement, par crainte de réveiller Helios, elle retire sa main. Aussitôt la voix reprend ses murmures persifleurs. « Tu n’es qu’un sujet d’étude pour lui, avec des à-côtés agréables. » Cette fois, elle est plus lointaine. Phaedre lève les yeux, regarde derrière son amoureux. A côté du lit, les surplombant de toute sa hauteur, une jeune femme aux longs cheveux blonds les observe, méprisante. Ses lèvres ne bougent pas, mais un rire hystérique semble pourtant s’échapper de sa gorge. « Tu n’es qu’une belle petite idiote, Phaedre, et tu le sais. Tu t’es laissée bercer d’illusions, tu les as entretenues avec soin, mais je détruirais tout, je te le promets. » Un rictus mauvais s’étire sur ses lèvres exsangues et déchirées par les coups de dent répétitifs. Phaedre n’exquise pas un mouvement, ne prononce pas une parole. Elle connaît la suite par cœur. Elle sait par avance ce que cette jumelle évanescente va lui dire, car elle n’a de cesse de répéter les mêmes menaces, à chaque fois, comme un disque rayé qui saute et revient toujours au même point. « Je t’agace, n’est-ce pas ? Toi aussi, tu m’agaces, rassures-toi. Tu sais ce qu’il faudrait pour être enfin débarrassée de moi ? » La créature penche doucement la tête vers Helios, le regarde tendrement. « Tue-le. Tue-le, et je m’en vais, je te le jure. Tue-le, et je te laisse en paix, petite Phaedre. » La sorcière se crispe, serre les dents et s’efforce de chasser la vision en secouant la tête par petits coups secs, saccadés, qui lui donnent un air de poupée brisée. Toujours endormi, le médicomage est inconscient des troubles qui agitent sa belle. « Vas-t-en… » Sa voix n’est qu’un murmure étouffé, à peine audible, mais pleine de désespoir. Depuis dix ans qu’elle se bat contre elle, la jeune femme ne lui a jamais obéi. Pas une seule fois elle n’a cédé aux supplices de Phaedre. Elles sont prises au piège, toutes les deux. Sentant la paranoïa la gagner, elle se retourne et mord son poing serré pour s’empêcher de hurler. C’est toujours la même chose. Voix, vision, menaces, supplication, terreur. Cette rengaine, elle la vit depuis la fin de ses études à Poudlard, depuis que l’ombre blanche lui est apparue pour la première fois. Elle a d’abord cru à un fantôme, avant de réaliser qu’elle était la seule à la voir, à l’entendre. Pour tous les autres, il n’y avait rien qu’un néant à la place de cette néfaste créature. Pour Phaedre, l’étrange vision prenait sa propre apparence et lui enjoignait sans cesse de s’en prendre aux êtres qui lui tenaient à cœur. Elle avait cru mourir le jour où son bras avait levé sa baguette sur Sagitta, tandis qu'un Avada Kedavra naissait sur ses lèvres pâles. Le geste n’était pas volontaire, mais elle l’avait tout de même fait, et depuis, elle passait son temps à essayer de se contrôler. Chaque instant de sa vie était donc placé sous le signe de la maîtrise de soi, un art dans lequel elle excellait désormais. Malheureusement, tout ne s'accordait pas toujours à sa volonté, comme ce matin. Agitée, tremblante, dévorée de fièvre et pourtant recouverte d'une fine pellicule de sueur froide, elle est loin de gérer sa folie. La sorcière a peur de crier, peur d'alerter Helios, peur de voir l'inquiétude dans ses yeux. Le médicomage a cependant l'air d'être doté d'un sixième sens la concernant, car elle sent ses bras frais l'entourer, suivis une seconde plus tard de son torse, glacé contre la peau brûlante de son dos. « Viens là... » Il l'attire contre lui, enfouit son nez dans la masse dorée de ses cheveux. Tendrement, il embrasse son cou, et se rendort, le corps chaud de Phaedre entre ses bras. La respiration de la jeune femme se calme, les battements de son cœur s'apaisent. « Il ne sera pas toujours là pour nous séparer, petite Phaedre... Pas toujours là... » La voix s'évanouie et la forme évanescente disparaît dans les rideaux transparents. Les larmes aux yeux, Phaedre se love contre Helios, habitée par l'horrible sentiment qu'un jour ou l'autre, elle n'arrivera plus à vaincre sa folie.