We'll be lacing the same shoes That we've worn through To the bottom of the line And we know that we're headstrong And our heart's gone And the timing's never right But for now let's get away On a Roman holiday

Le Ministère est bruyant, comme d'habitude, et elle regrette que l'atrium soit si grand et que son plafond soit si haut. Ca crée une caisse de résonance qui transforme le brouhaha ambiant en quelque chose d'encore plus incompréhensible, et pendant un instant elle se contente de — de juste se tenir là, un peu bête, comme un rocher au milieu du torrent que forment les employés et visiteurs du Ministère de la Magie. Elle songe un instant à son oncle le Ministre, penche la tête sur le côté alors qu'elle se perd dans sa rêverie, et c'est finalement Mercure qui l'arrache à ses pensées en appuyant sa tête contre sa jambe comme pour attirer son attention. « Ah... Tu as raison. Allons-y, maintenant. » Elle offre une caresse au chien, qui lève son arrière-train et la guide, doucement, prudemment. Le Ministère est trop plein d'activité, trop bruyant, trop rapide, et plus d'une fois elle a failli être précipitée à terre, bousculée par un quelqu'un trop pressé pour faire attention. Mais Mercure la guide, fidèle compagnon de voyage, et c'est à peine si elle a besoin d'utiliser la canne de bois blanchi au pommeau d'ivoire qui ne la quitte jamais. Comme d'habitude, il la guide jusqu'au poste de sécurité de l'atrium, et si elle échange un sourire et quelques mots polis avec l'Auror de garde à ce moment-là, personne ne peut lui en vouloir.

Elle est connue comme le loup blanc au Ministère, la petite Malfoy. Elle y vient régulièrement, pour ne pas dire souvent, juste pour rendre visite à un certain Yaxley — elle doit l'avouer, Helios fait beaucoup pour trouver un remède à sa cécité, même si elle n'a jamais compris pourquoi il s'acharnait autant. Bien sûr qu'elle aimerait pouvoir recouvrer la vue un jour, mais elle s'est adaptée à sa condition, et elle s'en contente assez bien. Elle a surtout peur qu'il se tue la santé sur ce projet. Elle a cru comprendre, et entendre, qu'il ne se ménageait pas. Elle n'a pas besoin d'un remède, il le sait. Elle espère juste qu'il prend un peu de repos de temps en temps. Et elle est curieuse de savoir pourquoi il lui a demandé de passer le voir dès qu'elle pourrait.

Mais on la guide jusqu'au couloir qui mène aux ascenseurs magiques, et elle s'y glisse, petite silhouette mince, et Mercure s'assied à ses pieds bien sagement. On lui fait de la place, sans un mots, parce qu'il n'est pas rare de la voir ici, que ce soit pour Helios ou pour sa soeur, sa Phaedre Langue-de-Plomb qu'elle aime tellement et qu'elle voit de moins en moins. Façon de parler, bien évidemment. Sa soeur lui manque, son frère lui manque — sa famille telle qu'elle était voilà encore quelques années lui manque, terriblement. Elle a la désagréable impression que tout s'est dégradé avec le temps, et elle se prend à rêver à des jours meilleurs, quand elle était encore gamine, encore innocente, encore valide aussi.

Elle a du mal à se remémorer le visage de sa mère. Celui de son père, lui, s'est effacé de ses souvenirs voilà bien des années. Elle se demande si elle ne devrait pas être plus attristée à cette idée.

Département de la santé magique, la voix désincarnée annonce et Sage redresse la tête, se faufile hors de l'engin de malheur dès qu'elle en entend les portes s'ouvrir. C'est calme, dans ce couloir, bien plus calme qu'ailleurs, et elle en pousse un soupir soulagé. Elle connaît bien son chemin, à partir de ce point. Vingt-six pas depuis la grille de l'ascenseur sorcier, un quart de tour sur la gauche, quarante-quatre pas supplémentaires, un quart de tour sur la droite. Deux pas. Elle n'a plus qu'à lever la main, et elle frappe trois coups sonores à la porte qui se dresse devant elle, trois coups de la phalange de son index, et elle n'a pas à attendre longtemps pour sentir un mouvement d'air — et son odeur à lui, familière et réconfortante, qui amène un sourire sur les lèvres de la petite dernière des Malfoy. « Bonjour, Helios, » elle salue. Elle cherche, tâte, trouve sa main qu'elle serre un instant dans la sienne, toute petite en comparaison. « Ca faisait longtemps. Je suis contente de te voir. » De le voir... Stupides habitudes de vocabulaire. Sagitta lui adresse un nouveau sourire, un peu moins ravi, un peu plus tendu. « Tu voulais que je passe ? Pourquoi ? Tu n'as rien dit dans ta lettre. »

"it's science, bitch"

ft. sage & phaedre

Le temps s’étiole sans que Helios n’y prête la moindre attention. Le médicomage dévoue chaque minute de sa journée à son activité favorite : la recherche. Il s’empresse de rejoindre son laboratoire au ministère au petit matin. Il prend à peine le temps de se doucher avant de sortir de son appartement. Il enfile rapidement des pantalons de velours, une chemise et une veste en tweed, de quoi se rendre présentable pour la journée. Ses cheveux, eux, sont leur propre entité. Il consacre toute son énergie aux autres et aux chiffres que représentent leurs systèmes génétique et immunitaires, il n’a pas le temps de les coiffer et encore moins de les couper. Dévotion extraordinaire dont peu sont capables. Elle lui vient naturellement. La médecine magique représente toute sa vie, et bien plus encore. Elle représente l’espoir d’une vie meilleure pour bien des sorciers. Il a conscience du pouvoir de la science sur ses sujets. Le docteur Yaxley s’efforce de leur apporter les meilleurs soins possibles, allant jusqu’à participer à des conférences aux prix exorbitants, et visiter différents centres de recherche à travers le monde. S'il donne aussi quelques lectures sur les remèdes de sa composition, notamment le fameux antidote du greyscale, Helios en profite toujours pour s’enquérir des thèses en cours d’écriture de ses pairs. Il est allé jusqu’au Caire, en Égypte pour trouver une réponse attendue depuis près d’une décennie. Des idées révolutionnaires réunies pour palier à la cécité de Sagitta Malfoy, la petite-soeur de sa maîtresse. Il a grandi avec le handicap de Sage devant le yeux, et a très tôt fait la promesse à Phaedre de venir en aide à sa soeur.

Des années plus tard, le voilà l’oeil collé à son microscope. Il prend des notes lorsqu’il s’écris enfin : « Eurêka ! » Pour une fois le hurlement qu’il pousse à son bureau n’est pas dû à une de ses innombrables visions. Helios affiche un sourire satisfait et s’empresse d’essayer son remède sur des singes aveugles, réunis grâce au budget grandissant du ministère de la santé magique. En quelques heures, les animaux parviennent à déceler certaines formes de l’espace qui les entoure. Une victoire pour le médecin qui s’empresse d’écrire une lettre à une de ses patientes favorites. Il invite également sa soeur ainée à la démonstration, il connait la réticence de la jeune femme à s’essayer à ses traitements.

Le grand jour arrive enfin, et l’attente est insoutenable. Impatient, le trentenaire jette un coup d’oeil à horloge plusieurs fois tout en préparant la salle pour la venue des Malfoy. Il refuse l’aide d’Ulysses, tenant à parfaire chaque détail lui-même. D’un coup de baguette, il place tout bibelot et objet qui puisse faire obstacle à elle et Mercure dans un placard qu’il ferme à clé. Trois coups sonores à la porte viennent enfin annoncer l’arrivée de la sorcière et son fidèle chien d’aveugle. Helios s’empresse d’ouvrir la porte et d’accueillir la demoiselle d’une accolade chaleureuse. Il la considère lui-même comme une soeur. « Sage, heureux de te revoir. » Elle est suivie de près par Phaedre dont il embrasse les lippes du bout des lèvres. La cécité de sa cadette comporte quelques avantages. « Je vous en prie, prenez place. » Il montre les deux fauteuils face à son bureau à l’ainée et aide Sagitta à trouver son chemin sans toutefois se montrer insistant. Il ne veut pas se montrer indécent envers elle, et conçois qu’elle a appris depuis longtemps à s’asseoir sur une chaise. Il se dirige de l’autre côté de la table et mordille nerveusement sa lèvre inférieure. Il ne s’asseoit pas encore : « Du thé, peut-être ? » Le britannique n’a pas perdu ses bonnes manières. Il lève brièvement sa baguette et un service s’élève dans les airs pour leur apporter deux tasses de earl grey, ponctuées d'un nuage de lait. Il prend enfin place et poursuit : « Je vous ai réunies ici pour vous faire part d’une potion mise au point en collaboration avec des chercheurs sud-africains. Je les ai rencontrés au Caire il y a quelques mois. » Il s’éclaircit la voix et prend un ton plus sérieux. « Elle ne te rendra pas la vue, Sage, mais elle te facilitera la vie de bien des façons. » Il se lève et fait quelques pas avant de s’agenouiller près de la jeune femme, caressant le revers de sa main dans un geste protecteur. « Le breuvage permettra à ton audition et à tes capacités sensorielles de fusionner et de créer un sixième sens au sens propre du terme. Pour faire court, de nouvelles connexions neuronales seront créées dans ton cerveau. Tu auras accès à une image de surface du monde qui t’entoure. Rien qui s’apparente à de la couleur ou des matières, mais tu seras capable de faire la distinction entre un mur et une chaise. Ce sonar visuel t’apportera une notion toute particulière de la perspective spatiale que nous connaissons tous. »

" If we knew what it was we were doing, it would not be called research, would it ?"

ft. sage & helios

Assise face à son bureau, la sorcière se masse les tempes du bout des doigts. La fin de journée approche, et bientôt, elle pourra quitter son poste pour rentrer se réfugier chez Helios. Depuis l’annonce, il y a quelques mois, de leurs fiançailles respectives, l’appartement est devenu une seconde maison pour elle. Elle y passe désormais plus de temps que dans son propre appartement, profitant des derniers instants de liberté qu’il lui reste aux côtés de son amant. Les colocataires du médocimage ne sont pas un problème, et ils peuvent vivre leur histoire sans se soucier des regards étrangers. Le couple ne se fait pas d’illusions : l’un et l’autre savent que cette vie ne tardera pas à prendre fin, et que leurs familles les arracheront – sans le savoir – l’un à l’autre pour les unir ailleurs. Dans l’immédiat, Phaedre choisit d’ignorer cet état de fait et d’agir comme à l’accoutumée. Aussi attend-t-elle avec impatience le moment de quitter le ministère, essayant tant bien que mal de faire passer la migraine qui la terrasse. Par expérience, elle sait que son mal de crâne ne se manifeste qu’en présence d’Ophelia, bien qu’elle ignore pourquoi. Helios travaille encore sur une explication à ce phénomène, mais rien de concluant ne ressort de ses recherches. De la même façon, les différentes potions et traitements mis au point durant les dix dernières années n’ont pas amélioré sa situation. Au grand soulagement de Phaedre, ils ne l’ont pas non plus aggravée. Elle reste donc soumise à la présence de ce double, cette jumelle psychotique, sans aucun recours ni moyen de s’y soustraire. Au ministère, personne n’est au courant, personne ne sait. La sorcière emploie beaucoup d’énergie pour que cela continue. Elle ne doute pas un instant qu’elle ne conserverait pas longtemps son poste au département des mystères si on venait à prendre connaissance de la folie qui la menace. Avec un soupir, la jeune femme jette un coup d’œil à l’horloge accrochée au mur et indiquant aux employés du ministère qu’il ne leur reste plus que vingt minutes avant de pouvoir partir. Décidant d’utiliser ces vingt minutes de façon plus ludique, elle rassemble ses affaires et s’apprête à quitter son bureau. Mais une note de service vient interrompre ses préparatifs. Helios la réclame dans son laboratoire. Abandonnant derrière elle son bureau, elle se précipite à grands pas vers le département de la santé magique.

En chemin, une silhouette familière accroche son regard. Sagitta, accompagnée de son chien Mercure. La sorcière comprend alors la raison de sa présence au laboratoire du médicomage. Il a très probablement mis au point un remède à la cécité de sa cadette, et a besoin de son aide pour lui faire accepter le traitement. L’aînée Malfoy connaît bien la réticence de sa sœur à se plier aux essais du voyant, et elle a la terrible charge de la convaincre. Suivant silencieusement Sagitta, Phaedre se dirige vers le laboratoire d’Helios. Alors qu’elle se rapproche d’elle, elle lance à sa sœur un assurdiato, l’empêchant d’entendre sa présence. Malfoy sait bien que depuis qu’elle a perdu la vue, les autres sens de la jeune fille se sont développés de manière surprenante, lui permettant de deviner qui se trouve dans la pièce à de simples détails tels que la démarche ou le parfum d’une personne. Phaedre ne fait pas exception, et elle souhaite surprendre sa petite sœur, qui ne doit pas s’attendre à la trouver là. Quand Helios ouvre la porte, elle lui adresse tout de suite un signe, lui intimant de taire sa présence. Le médicomage se plie silencieusement à sa requête et salue chaleureusement sa cadette, avant d’embrasser tendrement sa belle. Celle-ci lève alors le sortilège et se glisse devant sa sœur, effleurant sa joue délicatement, juste avant que Mercure ne jappe pour l’accueillir. « Tout doux, Mercure. Bonjour, Sage. » La jeune femme ne peut s’empêcher de sourire en contemplant le doux visage de sa cadette, certainement la seule Malfoy que la sorcière soit capable d’aimer. Elle décline d’un geste l’invitation d’Helios à s’asseoir, le regardant aider sa petite sœur à trouver son siège. L’espace d’un instant, une étrange vision s’impose à son esprit, celle du voyant aidant leur enfant à faire ses premiers pas. Depuis longtemps, et à cause de l’important écart d’âge entre les deux sœurs, Phaedre considère Sage comme sa propre fille plutôt que comme une cadette. C’est elle qui a pris soin de l’infirme après son accident, et ce, malgré les longs mois passés à Poudlard, malgré l’apparition d’Ophelia. La tristesse qui s’abat alors sur elle la force à chasser la vision, reportant son attention sur le médicomage. Elle est ici pour aider Sagitta, pas pour pleurer sur un futur qui ne viendra jamais.

S’appuyant contre la table de travail d’Helios, elle accepte la tasse de thé qu’il leur sert, et l’écoute développer son argumentaire sans l’interrompre. Les promesses qu’il fait semblent merveilleuses, à n’en pas douter. Il ne pourra pas rendre totalement la vue à sa sœur, mais l’alternative qu’il lui offre sera sans doute meilleure que la vie qu’elle mène aujourd’hui, plongée dans les ténèbres. « Qu’est-ce que tu en penses, ma douce ? Ça m’a l’air très bien. » Malfoy lance un regard de remerciement à Helios. Il est probablement le seul à ne pas avoir baisser les bras concernant la cécité de Sage, et elle ne pourra jamais lui rendre la pareille.