« Dans le vestige de ses songes, l’éclat de sa douleur comme un soleil sur un champ de cendres. La demeure séculaire ensevelie sous un manteau de neige se parant d’écarlate. Elle est  l’union du feu et de la glace. La rencontre infortune entre deux entités vouées à se détester. La singularité prise au piège dans la toile de son sourire. L’actrice qui se pare de sa plus belle tenue de scène. La Reine que l’on déloge de son trône pour y placer un cadavre. Elle est un tout et un rien à la fois. Le néant et l’opulence. Des entrailles des Flint elle a vu le jour. Des ombres des Yaxley elle entend bien s’élever. L’araignée noire, avide de gloire, une couronne de flamme autour de son délicat visage. »

⤜ summer heat, 1987
« - Elle est toute mouillée, elle a froid la pauvre. » La petite blonde agite le bocal sous les yeux de la rousse. Comme un trophée que l’on s’oblige à exhiber pour faire envie. Dans le pot de verre, une petite grenouille d’un vert étincelant reste inerte sur la paroi, résiste aux heurts que lui impose la blondinette à force d’agiter son précieux bocal sous les yeux de sa cousine. Salome reste impassible, les bras croisés sur sa poitrine, un sourcil légèrement levé. « - Saly, fait quelque chose ! » Elle presse alors l’objet contre sa cousine, de toutes ses petites forces, pour la faire réagir. Le soleil brûlant de cet après-midi d’été inonde le jardin et les deux petites. Lentement, Salome s’empare doucement du bocal qu’elle porte devant ses yeux pour pouvoir regarder le batracien. Elle devrait dire à sa petite cousine que c’est normal. La pauvre créature n’est pas faite pour vivre dans une boite en verre aussi longtemps. La relâcher serait certainement la meilleure chose à faire, mais les mots se font de plomb sur sa langue. « - Il faut la mettre au soleil, c’est tout. Ca va la réchauffer, elle ira mieux après tu verras. » Elle le lâche avec toute la sincérité du monde, le réconfort dans la voix comme pour soigner les plaies d’un enfant fragile. La petite blonde trépigne et suit sa cousine sur la terrasse. Le bocal est posé sur la rambarde, en plein soleil. Condamné à rester là pendant quelque minute. Le temps qu’il faut pour que le verre chauffe, et transforme la prison de verre en sauna. Au retour de la blondinette, sa grenouille git sur le dos au fond du bocal, sèche mais inerte. Elle agite le bocal pour la réveiller, et ne comprend pas de suite que son animal de compagnie est aussi mort que la souche au fond du jardin. L’éclair de lucidité se fait dans une crise de larmes. « - Maman, Saly a tué ma grenouille. Maman ! » Elle passe en trombe devant la rouquine, un indescriptible sourire fiché sur le rose de ses lèvres. Seule sur la terrasse, elle contemple d'un regard distrait le bocal et la pauvre créature. Délicatement, la petite rousse ouvre la prison de verre, l'élève au-dessus de la rambarde et la retourne. Le batracien s'échoue sur la pelouse dans un léger pouf, à peine perceptible devant les cris et les pleurs de sa cousine. Salome soupire et lève les yeux au ciel, résignée à affronter les remontrances. Ce n'est nullement sa faute si la petite blonde a été suffisamment stupide pour la croire. Persuadée par ses propres pensées, elle hausse une épaule, désinvolte et rejoins la fraîcheur de l'intérieur.

⤜ jasmine lullaby, 1994
La trace invisible sous la peau s’étend du bras jusqu’à l’épaule. Le feu laissé par la curiosité de ses phalanges. Les corps étroitement enlacés comme pour chasser le froid qui menace de s’introduire dans la petite chambre. L’intrus venant déranger l’ordre calme d’un secret qui perdure depuis trois longues années. Certainement les plus belles de sa vie. Salome se perd dans l’étreinte, le cœur encore battant de la félicité venue se glisser contre ses muscles. Elle s’accroche aux courbes de sa compagne, refuse de la lâcher parce qu’elle sait qu’elles ne se reverront plus. Une fois l’instant passé, il sera trop tard pour revenir en arrière. La rousse soupire, caresse du bout de son nez la ligne fine de la mâchoire de son amante. Elle redoute, repousse les mots qui se pressent sur sa langue et qui la blessent alors qu’ils ne sont encore que de pauvres pensées. Du vent qu’elle rêve de pouvoir étouffer avant qu’il ne détruise tout. Elle inspire, étend ses longues jambes, et vient effleurer de ses orteils la cheville dénudée. « - Il faut ça s’arrête Ava. » Les paupières de la rouquine se ferment pour ne pas affronter le regard incrédule de la jeune femme. Elle le sent, qui se glisse sur son visage. Alors elle vient enfouir le sien dans l’alcôve formée par la gorge de sa compagne, se laisser bercer par les effluves de son parfum. Les notes capiteuses du jasmin, celles qui se mêlent à son propre parfum, partout sur sa peau. « - Je dois me marier l’année prochaine. Vendue comme un vulgaire animal pour remplir mon rôle. Je suis désolée, mais il faut que l’on arrête maintenant. » Les lèvres se pressent contre la peau dorée, l’embrassent une dernière fois avant de se détacher dans un souffle. La langueur disparaît, et Salome s’arrache à l’étreinte à contre cœur. Ce n’était qu’un égarement voué à mourir dès qu’elle quitterait Poudlard. Le brutal retour à l’ordre des choses inscrit dans ses veines depuis sa naissance. Elle oubliera ce qui s’est passé. Ces instants de plaisir volé pour redevenir entière. Ce qu’elle est supposée être. Dédaigner l’inférieur et les déviances. Elle oubliera qu’elle a aimé l’impureté, qu’elle s’est brûlée la peau contre celle d’une créature de son genre. Que le sang sale coulant dans ces veines l’a fait vibrer plus que jamais. « - Saly… » La main qui se pose contre son épaule la fait frissonner. Brise doucement ses convictions. Elle se dit qu’elle peut encore attendre. Elle poussera la déchirure jusqu’à ce que le soleil disparaisse derrière la ligne d’horizon des toits de la ville. Que pendant quelques heures encore, elle ne sera la fiancée de personne. Aucun Yaxley, aucun Flint dans son monde. Juste elle et Ava. Une dernière fois avant qu’elle ne ferme son cœur.


⤜ the fall, 1998
Le petit bonhomme tangue sur ses pattes. Malhabile, il traîne ses pieds sur le parquet reluisant. S’accroche à tout ce qui passe à portée de ses mains pour ne pas tomber. Les talons de la rousse claquent, se rapprochent. Elle passe devant son fils sans même lui adresser un regard. Lui lève le nez vers sa mère, tend les mains au néant, un sourire sur son visage poupin. L’ignorance de la sorcière le pousse à gazouiller. A balbutier un maman malhabile. Les petites mains s’ouvrent et se ferment en une invitation à le prendre dans les bras. Salome arrête sa course, et jette un infime regard par-dessus son épaule. C’est au-dessus de ses forces, elle ne parvient pas à se dire que ce petit être est son fils. Trop jeune pour être mère, elle n’a pas eu le temps de comprendre, de laisser cet instinct l’envahir dès l’instant où le nourrisson a été posé sur son sein. Il est une nécessité, le premier et certainement pas le dernier qu’elle aura. Parce que tel est son rôle. On l’a vendu à l’impur pour lui offrir une chance de s’élever. Ce mari qu’elle abhorre. Qu’elle aime parfois sans oser vraiment se l’avouer. Elle frissonne encore en pensant à cette nuit qu’ils ont partagée après leurs noces. Le froid sur sa peau et la pauvre déferlante d’un plaisir fragile. Deux corps étrangers qui tentent de fusionner pour ne se heurter qu’au vide. Elle l’a détesté pour avoir été incapable de la faire vibrer comme elle l’espérait. Une part d’elle pensait qu’ils parviendraient à franchir le fossé les séparant cette nuit-là. Il n’a fait que se creuser plus encore. Alors elle pose un regard froid sur le bambin qui trottine vers elle, les bras toujours tendus. Dans sa course hésitante, l’enfant trébuche et s’étale piteusement sur le sol. Il renifle, pousse des poings jusqu’à se retrouver assit sur son derrière et se met à pleurer en appelant sa mère. « - Si tu n’apprends pas à te relever seul, tu resteras à terre toute ta vie. » Un élan étrange lui crispe le cœur, attendri la chair froide. Elle hésite à venir porter secours à son fils, le prendre dans ses bras et lui chuchoter que ce n’est rien. Mais dans sa chair quelque chose l’en empêche. Alors elle tourne les talons et quitte la pièce, pour s’éloigner des pleurs qui lui déchirent les tympans.


⤜ birth of death, 2005
Le cri éventre le silence. Déchire le cœur endormi de la pauvre demeure qui tremble encore devant la force de l’éclat de voix. Le froid se fait polaire, enroule ses bras assassins autour de la peau laiteuse. Recouverte d’une sueur de givre, les frissons en crocs dévorant les membres. A genoux au milieu du désordre des draps, Salome hurle sa douleur. Les larmes roulent sur ses joues de poupée, la blancheur immaculée de sa chemise de nuit souillée de notes écarlates. Ce sang d’ordinaire si pur à ses yeux devient ignoble. Détestable alors qu’il se repend telle une mer rageuse le long de ses cuisses. Elle lutte contre le rejet de son corps, crispe ses mains rouges contre son ventre. Dans une tentative désespérée, la rousse s’échine à vouloir maintenir la vie perdue en son sein. Elle refuse d’affronter sa défaite. Pas lorsqu’elle se tient si près du but. Elle refuse de se laisser sa faiblesse prendre le dessus sur sa raison. Du carmin livide de ses lèvres s’extirpe un nouveau cri de douleur. Elle s’agrippe aux draps, les ramènent contre son corps déchiré par la souffrance. Elle a besoin de chaleur, de se raccrocher à quelque chose pour ne pas sombrer. Farouche dans sa blessure, Salome refuse l’aide qui peut venir virevolter à ses côtés. Elle sait, que si les ombres viennent à poser leurs mains sur elle, il en sera finit. D’autres décideront pour elle qu’il est temps d’abandonner, que sa grossesse vient de s‘achever avant son terme, dans le sang et les larmes. Elle hoquète, les minutes s’égrainant dans le sablier de sa piteuse existence et il ne reste plus qu’elle. Seule avec ses soupirs d’affliction, aucun pleurs pour saluer la venue au monde du fruit de ses entrailles. Sa force s’est étiolée, elle n’est plus l’épouse avide de pouvoir. Juste un corps frêle, brisé par ses tressaillements et les larmes qu’elle ne cherche plus à retenir. De ses mains tremblantes, Salome s’empare avec une tendresse démesurée du petit être gisant devant elle. Une petite fille au teint bleutée, les paupières résolument closes. Elle embrasse les petits poings crispés et serre le corps fragile contre sa poitrine. Emprisonnée dans la cage de sa peine, la rousse se repli au bout de son lit, sa fille fermement pressée contre elle, à l’abri dans l’étau de ses bras. La raison sait qu’il n’y a rien à faire. Le cœur lui refuse d’abandonner. L’instinct maternel mort dans son cœur soudain en éveil. Ressurgit de ses cendres à la vue de cette petite poupée. Elle voulait une fille. Pour ne plus être seule. L’aimer comme elle n’a jamais aimé personne, et lui offrir tout ce qu’elle n’a pas eu la chance d’avoir. Tant d’espoirs placés dans cette vie qui n’aura tenue que quelques mois.