La rue assourdissante autour de moi hurlait.
Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse,
Une femme passa, d'une main fastueuse
Soulevant, balançant le feston et l'ourlet ;

Elle lâche l’aiguille qu’elle tient en main, délaisse sa couture. Porte son doigt meurtri à sa bouche, pour effacer le sang qui perle déjà à son extrémité. « J’en ai assez, j’arrête. » D’une main, son ouvrage quitte ses genoux pour terminer au sol. Sa sœur la regarde, scandalisée. Elle a trois ans de plus, mais se ravise de faire la leçon à sa cadette. Elle sait déjà que c’est peine perdue. « Où veux-tu aller, ils seront furieux s’ils voient que tu es partie t’amuser. » Hesione fusille l’aînée du regard. Elle aurait tant voulu rester à Poudlard pendant ses vacances. Délaisser les cours de potions pour la couture et la cuisine, quelle hérésie ! Mais dans ce clan, les femmes ne sont bonnes qu’à faire les meilleures unions possibles. Qui se soucient qu’elles sachent se battre en duel, tant qu’elles conversent avec aisance ? Hesione méprise cette existence, ces chaines qu’on lui impose. Elle n’en dit mot, craignant le courroux parental. Son père l’intimide. Sa mère ne fait guère mieux. Ils ont bien vite compris que l’enfant serait une gêne. Éprise d’une liberté qu’on ne saurait tolérer. Un caractère que bien des époux trouveraient à critiquer. On la muselle, on la punie. Tout est prétexte à la remettre dans le rang. Les années passent, l’enfant obtempère. Elle n’est pas sotte, elle sait ce qui est le mieux pour elle. Coopérer, pour espérer un mariage de valeur. Elle ne voudrait pas finir comme sa sœur, promise à un Bulstrode. Parfois, cependant, son esprit vagabond reprend le dessus. En cet instant, il lui dicte d’aller voir ailleurs. Hesione ignore sa sœur qui cherche à lui rendre la raison. Elle file à la fenêtre. En bas, elle voit ses frères qui s’inventent des duels, armés d’un bâton. Elle les envie. Ils ont leurs propres fardeaux. Mais leur valeur aux yeux du monde vaut bien quelques sacrifices. Ils n’auront qu’à se soucier de leur petite carrière. Elle voit certains d’entre eux échouer comme des misérables. A leur place, elle ne faillirait pas. Nul ne lui laissera jamais prouver sa valeur. Il ne lui reste que ses sourires, de quoi charmer en société. « Mademoiselle Yaxley. Vous êtes priée de faire ce que l’on vous ordonne. Reprenez votre ouvrage sur le champ. » La préceptrice, arrivée d’on ne sait où. Son regard méprisant s’attardant sur la jeune fille. Elle hausse les épaules. Préfère le spectacle à la fenêtre. Le dos tourné, les bras croisés. « Ou sinon quoi ? » Se risque-t-elle. Elle entend sa sœur murmurer son prénom dans un souffle agacé. La préceptrice lui adresse quelques noms d’oiseaux. « Ou vous serez la honte de cette famille. Un fardeau dont nul ne voudra s’encombrer. Les femmes seules ne servent à rien, dans notre monde. Et vous, mademoiselle Yaxley, vous n’êtes pas issue d’une grande famille. Vous ne pouvez jouer les insaisissables en espérant vous en tirer à bon compte. » Piquée à vif, Hesione se retourne comme une furie. Elle sait mieux qu’aucune autre de quoi est fait son avenir. D’une union sans saveur, d’ordres répétés à l’infini. Ses ambitions, elle a déjà fait une croix dessus. Sa loyauté n’est plus à prouver : ne l’a-t-on pas envoyé chez Poufsouffle ? Elle hésite à gifler la préceptrice pour son impertinence. Mais le fait est qu’elle a raison. La sauvageonne se calme un peu. Résolue, elle reprend sa place.

Agile et noble, avec sa jambe de statue.
Moi, je buvais, crispé comme un extravagant,
Dans son oeil, ciel livide où germe l'ouragan,
La douceur qui fascine et le plaisir qui tue.

Sa frêle silhouette semble trembler. On la distingue à peine. Elle s’est réfugiée dans l’obscurité. Seule, assise sur le rebord d’un sofa vermillon,  elle goûte ses derniers instants de repos. Les mains jointes contre sa poitrine, elle se murmure des paroles de réconfort. S’incite à rester forte, à ne pas trembler. La môme a dix-sept-ans à peine. Une vie devant elle. Une prison dorée qui l’attend. Un époux en devenir qu’elle fait patienter devant l’autel. Quelques secondes à elle, c’est tout ce qu’elle demande. Son existence entière est l’exemple même du sacrifice. Tout n’est que devoir et obéissance. Hesione, l’enfant modèle. Celle qui a mis de côté ses ambitions au profit de son clan. Rien d’original, toutes agissent ainsi. Mais son désir d’ailleurs a plus d’une fois failli la conduire à la fuite. Qui se serait soucié de la fille Yaxley, errante à l’autre bout du monde ? Elle aurait pu savourer un monde de liberté. Mais trop encrée dans ses traditions, loyale à des gens qui ne voient en elle qu’un sexe faible à troquer contre quelques richesses, elle est restée. Lâche, ou fidèle, allez savoir. Des bruits de pas retentissent au bout du couloir. Quelqu’un vient. Hesione reprend une contenance. Affiche un air résolu, chasse ses sinistres pensés. Elle n’a jamais aimé quiconque, hormis elle-même. Et la voilà prête à épouser un homme qu’elle n’a vu qu’une poignée de fois. La porte s’ouvre à la dérobée. Son père fait irruption. On lit l’impatience sur ses traits. « Il est temps. » Il n’en dit pas davantage. Le ton est froid, n’appelle aucune réponse. Il est trop tard pour afficher ses doutes. Ils ne seraient de toute façon pas entendus. Hesione se lève. D’une grâce sans égale, sa fine silhouette soulignée dans sa robe de mariée. Son père lui offre son bras, elle marche à ses côtés. Le palpitant bat la chamade. Si fort qu’il semble prêt à bondir hors de sa poitrine. « N’oublie pas. Nous avons besoin les uns des autres. Si tu tiens ton rang, notre famille en sortira grandie. » Il ne lui apprend rien. Elle connait la coutume, l’étiquette. Elle sait qu’aux yeux des grands de ce monde, les Yaxley ne sont pas grand-chose. Mariée à un Flint, elle s’élève un peu, et ils s’élèvent avec elle. Pas un merci, pas un mot pour glorifier son geste. Tout n’est qu’une tradition à laquelle chacun doit se plier. Hesione se présente dans l’allée. Au bout, son époux en devenir. Atlas. A peine plus âgé, mais il semble avoir déjà vécu mille vies. Un visage animal, un regard perçant. Il intimide, impressionne. Porte sur ses épaules le destin de son clan. Elle ne peut qu’apprécier l’estime qu’on lui porte, en lui donnant pour époux un chef en devenir. Elle ne tremble plus. S’avance avec aisance jusqu’à l’autel. Sent les regards se poser sur elle. Sa beauté virginale offerte contre la considération d’un clan.

Un éclair... puis la nuit ! - Fugitive beauté
Dont le regard m'a fait soudainement renaître,
Ne te verrai-je plus que dans l'éternité ?

Un cri de souffrance échappe de ses lippes. L’écho lui renvoi comme un crachat en plein visage. La maison est vide. Elle est seule. Dans sa souffrance, dans son combat perdu d’avance. Pliée en deux, elle affiche une impuissance qu’on ne lui connait pas. N’y tenant plus, elle se laisse glisser contre le mur de sa chambre à coucher. Sent la vie qui s’échappe entre ses cuisses. L’enfant à naitre, parti avant d’avoir été. Un évènement qu’on attendait plus. Un héritier, un second, à cet âge. La mère avait encore de beaux restes. Un fils pour terminer, vingt ans après la dernière-née. Elle s’était gardée d’en parler à quiconque. Gardant jalousement son secret pour elle, puis daignant le partager avec son mari. Lorsque le sexe de l’enfant avait été confirmé, elle avait senti une nouvelle jeunesse la submerger. Elle qui n’avait jamais voulu être mère voyait en chacun de ses enfants une part de déception. Celui-là serait la marque du renouveau. Effaçant les erreurs commises avec les aînés. Fier étendard des ambitions maternelles. Rêve manqué, noyé dans le sang. L’âge, à nouveau, lui revient comme un boomerang. Elle n’est plus si jeune qu’autrefois. A l’aube de ses quarante-six ans. Ses démons lui rappelant cruellement le temps qui s’étiole. Son corps qui s’approche à chaque instant d’une mort inévitable. Ses jeunes années derrière elle. Cet enfant qui disparait, emportant avec lui l’illusion folle qu’elle pouvait encore rivaliser avec les plus jeunes de ce monde. Elle n’est plus faite pour être mère. La leçon, chèrement acquise. On lui a maintes fois répétée qu’elle n’était bonne qu’à ça. Enfanter, offrir à Atlas autant de fils qu’elle peut en porter. Les femmes ne sont là que pour poursuivre les lignées. Son but est atteint… Quelle suite offrir à sa misérable existence ? Elle voit dans cette mare de sang plus qu’un enfant qui s’en va. Elle pleure, quelques instants. Le temps de faire son deuil. Puis songe à ceux qui passeront bientôt le pas de la porte d’entrée. Elle ne veut pas qu’ils sachent. Pour eux, cet enfant n’a jamais existé. Il faut qu’il en reste ainsi. Elle nettoie toutes traces de sa fausse couche. Enfile une nouvelle tenue, se maquille avec élégance. Paraitre, plutôt qu’être. Figure abîmée qui n’en laisse rien voir, elle laisse son orgueil parler, pour effacer le malaise qui lui noue l’estomac. Nul ne saura ce qui s’est joué ce jour. Sinon ce mari qui tente de se faire compréhensif. Elle ne veut rien savoir. Joue les égoïstes, ce deuil n’est rien qu’à elle. Elle refuse ses marques d’affection. Fuit ces enfants qui en rappellent un autre. Brusquement, sa propre mortalité lui est revenue en pleine face. Elle veut vivre, avant qu’il soit trop tard. Elle a tout sacrifié, sa jeunesse, ses plus belles années. Il est temps pour Hesione de regagner sa liberté.

Ailleurs, bien loin d'ici! trop tard! jamais peut-être!
Car j'ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais,
Ô toi que j'eusse aimée, ô toi qui le savais !

Le regard se perd à l’horizon. Plus rien n’existe autour, sinon le silence. Hésione s’oublie un instant. S’évade de cette demeure étouffante, de cette famille qui l’accapare toute entière. Elle feint d’ignorer les suppliques du hibou qui repose sur son bureau, réclamant quelques graines en récompense de sa récente livraison. La vue qu’offre la fenêtre semble plus hypnotique. Le vent a balayé les feuilles mortes qui erraient dans le jardin. Un soupire lui échappe ; la lassitude est une chose qu’elle cache de plus en plus mal. A regret, elle détache son regard du dehors. Elle s’en retourne à son bureau, balance à l’animal qui hulule encore de quoi le faire taire. D’une main, elle se saisi de la missive qui traine sur son bureau. Elle la relie une énième fois, pour en mesurer chaque mot. Son frère scelle par ses mots une alliance dont Hesione se serait passée volontiers. Lui et son époux ont intrigué des mois durant. Discutés du devenir de la cadette des Flint. Le cœur meurtri à l’idée d’envoyer sa fille dans une maison qu’elle a tant méprisé dans sa jeunesse. Elle s’en est échappée pour mieux y envoyer sa propre chair, son propre sang. Mais les alliances, en ce bas monde, se moquent des considérations personnelles d’Hesione Flint. On frappe à la porte. D’un mot, Hesione invite à entrer. « Vous vouliez me voir, mère ? » Un bref signe de tête répond par l’affirmative. La gamine rentrer, referme la porte derrière elle. « Assied toi, nous avons à parler. » L’enfant obtempère. Sa mère reste debout. La mine sinistre, le regard sévère. On lit sur les traits de la fille une incompréhension légitime. Hesione n’a jamais caché son affection particulière pour sa cadette. Sa préférence éhontée pour la dernière-née. Pour son esprit sauvage, ses convictions affirmées. Elle a muselé ses autres filles, en a fait des poupées. Mais la cadette a connu des privilèges qu’aucune autre ne peut se targuer d’avoir eu. Même son fils, une exception à lui tout seul, aurait mille raison de jalouser Fiona. En cet instant, toutefois, il n’est plus question de cela. La mère devient marâtre. La fille, objet de convoitise. Dans quelques secondes, la nouvelle de ses fiançailles tombera comme un couperet sur le cou délicat de l’enfant. Hesione inspire. Il est temps que sa fille devienne femme.