⤜ let's play the game
Tu aurais voulu l’aimer plus, l’aimer à en crever. Juste l’aimer, tout simplement. Etre capable de hurler, de souffrir vraiment. Sentir ton cœur se fêler, devenir fou. Tout plutôt que ce détachement, cette distance émotionnelle qui te fait te détester. C’est d’autant plus absurde, d’autant plus ridicule que tu ne lui vouais qu’un attachement éphémère. Tu ne lui accordais même pas tant d’importance. Pas assez pour le pleurer. Pas assez pour être le responsable de sa disparition. De sa mort, probablement. Tu ne sais pas vraiment, et c’est sans doute le pire. De nourrir cet infime espoir d’humanité chez les Lestrange. L’éventualité d’un simple exil à la place d’un empoisonnement. Tu ne demanderas pas à ton père le sort réservé à ton amant, tu te fous bien de connaître le fin mot de l’histoire que tu redoutes, en réalité. Ce sera leur secret. Un non-dit supplémentaire au sein de cette famille déchirée. Un énième squelette poussé dans le placard du bout du pied. Tout plutôt que ce dégoût, cette aversion ravivée envers ta famille. La certitude que tu ne pourras jamais les aimer, pas comme tu le voudrais. Tu leur en veux tellement putain, que pour eux tu pourrais hurler. Tu leur en veux de se se prendre pour des dieux, de disposer des vies d’autrui comme s’il s’agissait de simples pions d’échec. Des pièces jetables, des pièces interchangeables. De faire de leur volonté une réalité à la moindre importunité. De ne pas mesurer l’absurdité de leur jeu. De ne pas t'aimer simplement pour ce que tu es. De vouloir te façonner, te modeler. De te regarder avec regret, d'être la source de toutes leurs contrariétés. De préférer leurs manipulations insensées pour se maintenir au pouvoir. De choisir leur ambition plutôt que toi. Toi. Leur fils, leur cousin, leur neveu. Tu voudrais les mener à la défaite, observer leurs visages défaits face à l’humiliation. Tu voudrais qu’ils paient. Qu’ils soient victimes de leur ambition. Alors tu vas jouer avec eux, t'inviter dans la partie. Élaborer ta stratégie pour les faire tomber. Embrasser ta nature de Lestrange pour l'utiliser contre eux. Inventer des nouvelles règles pour justifier prendre part à cette mascarade méprisée. Risquer de te perdre, toi aussi.

⤜ this is the end
« Tu peux envoyer les faire-part. » Tu voudrais croire qu’un jour, il a été toi. Lui aussi, écrasé par le poids des exigences, dépassé par des responsabilités imposées trop tôt. Qu’un jour, ton père t’a ressemblé. Qu’au fond de lui peut-être, il éprouve parfois des regrets. Qu’il se demande s’il a vraiment bien fait. Il aurait pourtant pu tracer son chemin loin de ces attentes étouffantes, sans chercher à être un exemple. Troisième fils de la lignée des Lestrange, il n’avait nullement le besoin d’être infaillible. De se plier à l’image de froideur, de droiture et d’indifférence propre à la famille. Il aurait pu être aimant. Chaleureux. Compréhensif. Il aurait pu être une figure paternelle que tu aurais rêvé d’imiter. Il aurait pu se confier à toi, te laisser entrapercevoir ses fêlures, ses faiblesses. Juste une fois. Une infime fois où tu aurais compris que lui et toi, n’étiez peut-être pas si différents. A la place, tu vis avec cette peur dévorante au creux du bide, qu’un jour tu puisses lui ressembler. Déjà tu l'imagines responsable du vide à l’intérieur de ton cœur. De cette absence de sentiments, d’attachement véritable, de lien que tissent entre elles deux personnes qui ne veulent plus jamais se quitter. De cette frustration de vouloir sans pouvoir. Parce que tu ne sais pas vraiment ce que c’est, ni comment on fait. « Mais le jour où tu seras grand-père, ce sera celui où tu devras choisir entre étouffer un bâtard ou dissimuler une affreuse vérité pour une seconde chance d’avoir le fils dont t’a toujours rêvé. » Tu l’avertis, par politesse. Parce que tu ne comptes aucunement honorer ton devoir en tant qu’époux, primordial pour assurer sa descendance s’il ne veut pas voir sa branche se rompre si rapidement. Parce que tu refuses de parcourir les courbes féminines de ce corps trop frêle, trop jeune. Et elle, ne mérite pas une vie sans amour, sans connaître les joies de la maternité. Mais lui, lui il saura que cet enfant ne sera pas de toi. Pas de lui non plus. Que tout s'arrêtera à toi. Tu es presque intrigué à l'idée de savoir ce qu'il fera. Si sera encore là, pour faire ce choix. Si tu seras prêt à mentir à ce moment là. Sil fera semblant de te croire, pour épargner l'innocence.

⤜ ugly emotion
Perché sur ton brossdur, tu restes parfaitement immobile au milieu de tes co-équipiers qui s’agitent. Le dos raidi par une sournoise sensation d’inconfort. Le regard tourné vers les gradins où ta cousine est venue assister à votre demi-finale accompagné de son futur époux. Deux gamins à l’avenir tracé par leurs aînés. Tes poings se serrent autour du morceau de bois, les phalanges blanchies. Tu as du mal à digérer cette promiscuité entre elle et lui. Une Lestrange, ton propre sang. La garce n’a que l’avantage d’une poitrine et la capacité de procréer. Dans une réalité alternative, c’aurait pu être toi. Le nom tu l’avais, cette identité tant méprisée aurait pu servir tes intérêts. Il n’aurait alors pas pu t’échapper, lié à toi par ces conventions auquel il attache plus d’importance qu’à tout autre chose. Plus d’importance qu’à toi. Il aurait été pris dans tes filets, sans aucun moyen de s’y opposer. Il aurait été ta possession, définitivement, publiquement. Rongé par la rancœur et la convoitise, tes billes d’éther fixement braquées sur l’objet de ton obsession, tu ne peux qu’ignorer le cognard qui vient violemment frapper ta tempe. Le choc te déstabilise, te reconnecte à la brutale réalité. Pu-tain d’enculé de fils de troll. Ton corps tombe mollement sur le côté avant que tes doigts, dans un réflexe, s’agrippent in extremis au manche de ton balai pour t’éviter une chute douloureuse sous les expressions de panique, de soulagement et d’excitation de la petite foule des spectateurs. « Alors Lestrange, besoin d'un Enervatum pour t'réveiller ? » La provocation de ton adversaire, particulièrement fier de son coup, ne fait que décupler ta fureur. Tu te hisses difficilement pour reprendre ta position, les nerfs à fleur de peau. Une seconde, tu hésites à utiliser un sortilège informulé pour fermer son clapet. Ce ne serait pas la première ni la dernière fois que tu aurais recours à un procédé déloyal pour venir à bout d’un opposant. Mais tu te moques de cette demi-finale déjà largement gagnée grâce à tes multiples K.O, comme déchaîné par l’approche de l’astre lunaire presque entier. Et sans doute préoccupé à l’idée de pavaner comme un coq, de faire étalage de tes talents de batteur. C’est davantage la main de ta cousine venue s’agripper au bras de Golyat qui te fait serrer la mâchoire. Et cette fois, tu l’aperçois du coin de l’œil ce foutu cognard. Cette fois tu ne le rates pas. Cette fois, tu t’écartes d’un mouvement brusque avant de frapper de toutes tes forces. BAM. Un vent de panique souffle un instant au-dessus des têtes qui vous contemplent d’en bas tandis que la boule dure vient percuter le spectateur assis à côté de la jeune Lestrange. Tu ne sais pas vraiment toi-même si tu as mal visé, ou si tu as accompli exactement ce que tu cherchais. « J’ai dévissé. » T’annonces simplement en guise d’excuse avant le retentissement du coup de sifflet marquant la suspension du jeu, sur un ton d’une parfaite désinvolture.

⤜ screaming at the moon
Les mois se ressemblent, désespérément, et la disparition de la lune entière te laisse toujours désemparé. Fou d’avoir de nouveau échoué. A chaque revers supplémentaire, ta déception n’en est que plus amère, que plus douloureuse. Frustré d’être si près. Tu restes convaincu que tu es à un cheveu de vélane de révolutionner la tue-loup, d’annihiler les transformations. Quelque chose t’échappe, quelque chose que tu n’arrives pas à comprendre. Tu maîtrises les propriétés des plantes à la perfection, pratiques les sorts de guérison de façon exemplaire, détient les connaissances de toutes les encyclopédies magiques et moldues en matière de lycanthropie. Tu la vis, tous les mois. Et pourtant, tu es toujours incapable de démêler son mystère. Tu aimerais avoir davantage d’essais, qu’une seule fenêtre de tir mensuelle offerte par le cycle de l’astre timide. Même si cela te mettrait davantage en danger. Même si tu en souffrirais plus. Parce que chaque nouvelle métamorphose t’expose, est susceptible de te faire éliminer du jeu avant que tu aies eu l’opportunité d’abattre l’ensemble de tes cartes. Plus encore, c’est ta vie que la lune capricieuse met en péril. Tu ne te fais guère d’illusion quant au sort réservé aux créatures magiques au sein des Lestrange. Personne ne s’opposerait vraiment à la décision, certains même se réjouiraient de détenir enfin une raison suffisante pour te rayer de l’arbre généalogique. Tu te demandes si ton père se dévouerait. S’il s’en féliciterait ou révèlerait par son absence de volonté d’y prendre part, l’attachement dissimulé dont tu as toujours rêvé. Tu as toujours pensé que tu te sentirais à ta place au milieu de la différence, et tu ne peux pas nier aimer la liberté dont tu jouis sous ta forme lupine. L’excitation de la chasse, la satisfaction de renouer avec ta bestialité. Mais aujourd’hui, tu perçois ta particularité comme une gêne, un obstacle qui se met en travers de tes objectifs. Tu l’aurais sans doute mieux vécue dix ans plus tôt, lorsque tu ne cherchais qu’à contrarier tes parents. Tu l’aurais probablement dévoilée à ton père, poussé par l’insouciance et ce désir de l’acculer pour guetter ses réactions. Cette révélation, parmi toutes les autres, seraient la plus à même de t’apporter la réponse que tu cherches désespérément à la question de savoir si tes parents t’accordent suffisamment d’importance pour te protéger de la mort. Parfois ce désir te titille, et les mots se heurtent à tes lèvres, n’attendent que leur ouverture pour sortir et tout dévaster. Pourtant tu te tais, pour garder cette confidence comme le coup final que tu leur porteras.