they say the best souls are doomed
- Tu ne me retireras pas ma fille !
- Quelle autorité va m’en empêcher ? La tienne ? Ne me fais pas rire.
- Pauvre folle. N’est-ce pas toi qui es partie du jour au lendemain en me laissant une enfant à élever seul ?
- Tu sais très bien pourquoi j’ai dû partir. Le Ministère me traquait. Juri et toi n’étiez plus en sécurité.
- Et tu penses qu’elle sera en sécurité maintenant ?! Tu réapparais après dix ans et me parle d’emmener mon seul enfant en Angleterre. Tu la condamnes à une vie de fugitive comme toi ! Elle sera plus en sécurité avec moi. S’il te plaît, si tu veux le bien de Juri, vas-t-en.
- Non.
- Je ne la laisserai pas devenir un monstre comme toi.
- Est-ce pour cela que tu refuses de l’inscrire à Mahoutokoro ? Tu ne veux pas qu’elle apprenne la magie ? La magie est dans son sang, c’est son droit de naissance !
- Je m’en moque.
- Aurais-tu peur par hasard ? De moi, de ta propre fille ?
- J’aime Juri. Je ne m’attends pas à ce que tu comprennes les sentiments humains, tu en es incapable. Disparais et oublie-la. Elle ne sait même pas qui tu es.
- Elle apprendra. Toi, en revanche, tu ne te souviendras de rien. Oubliettes.

⤜ et elle plongea dans les froides ténèbres,
Les perles de sueur coulent sur son dos, la crasse habite ses doigts et les larmes guettent ses joues. C’est une enfant d’une douzaine année qui est recroquevillée au milieu de la cave poussiéreuse et sale. Sa mère hurle son nom en pénétrant dans l’antre sombre et minable. « Oka-chan ! Je ne veux plus ! » cette dernière répond dans un murmure fébrile. Une langue étrangère sur le bout de ses lèvres. La vilaine sorcière s’avance vers elle doucement. « Practice your English. » Elle pose une main sur le front brûlant de sa famille. Seulement douze ans et si innocente. « Try one more time. » L’enfant ferme les yeux à s’en les crever, des cris de douleurs jaillissent de sa bouche et pendant un instant, la délicatesse de sa peau se métamorphose en plumes. Aussitôt apparues, aussitôt disparues. « Go...Gomenasai. » Juri s’excuse en pleurant silencieusement. Elle n’ose pas lever le regard, ses yeux fixent la poussière. Qu’elle aimerait retourner à la poussière elle aussi, comme elle aimerait mourir. Une main calleuse et sévère frappe ardemment sa joue. « Useless daughter, tss. » Impossible, impossible. Elle ne veut pas ; la douleur ne vaut pas le coup. Pourquoi les humains souffrent-ils ainsi de la main de ceux qu’ils aiment ? Sorcière, sorcière. Elle la déteste. Elle ne veut pas être un animal. Elle est une fleur. Une douce et délicate fleur, aimée pour sa rareté et son réconfort. Une fleur morte asséchée par un soleil qui a disparu. « I’m sorry. » La sorcière soupire. « C’est tout ce que tu sais dire en anglais ? "I’m sorry" ? Et dire que tu as été envoyé à Serdaigle. » reprend-t-elle en japonais. Elle ricane. Ce bruit strident et humiliant arrache le cœur de Juri. Quel est ce picotement qui fait si mal dans sa poitrine ? « Que vas-tu devenir quand ta pauvre mère sera partie si tu n’es même pas capable de parler anglais ! » Une autre main violente se pose sur elle et cette fois-ci, Juri entre dans un sanglot interminable. « Je me soucie pour ton futur, ma fille. Si le Ministère de la magie japonais nous trouve, il te sera plus facile de fuir si tu es un animagus. » Malgré la sécheresse des paroles de la sorcière, une main tendre caresse ses cheveux. Parfois, Juri oublie. Elle oublie que sa mère est une sorcière et qu’elle aussi, elle partage ce destin funeste. Elle oublie que sa mère a violé le Code International du Secret Magique en tombant amoureuse d’un moldu et qu’elle a trahi Mahoutokoro pour l’Europe. Parfois, elle oublie juste une seconde qu’elle n’est qu’une immigrée et qu'elle est condamnée à se cacher. Une fleur immobile et scarifiée dans une cage aux lions. « Try again. » Elle ravale ses larmes. « Yes, mother. » Et l’entraînement continue durant des heures et des heures dans cette cave silencieuse. Personne ne doit voir, personne ne doit savoir. Elle deviendra un animagus mais elle ne fuira pas. Elle retrouvera les souvenirs de son père. Elle retrouvera sa liberté et elle enterrera sa douleur.

⤜ l'enfer où son coeur se plaît,
« Tu sais que les êtres humains sont dotés de parole, Julie ? » Silence. Les yeux de la japonaise ne croisent pas les siens. A vrai dire, les yeux de la japonaise sont vides. Encore une fois, elle a échoué. Elle a parcouru le monde, elle a erré à travers les chemins et nulle part gisait un remède. Pourquoi était-ce si facile de jouer avec la mémoire des gens mais si difficile de la récupérer ? Une douzaine d’années avait passé et il ne se souvenait plus d’elle. Il n’y a pas pire sentiment que d’être oublié par ceux qu’on aime. Elle ne voulait rien aimer, elle ne voulait pas parler. Elle était lasse de tout ça, lasse de cette vie ennuyeuse et cruelle. Fatiguée d’un espoir qui ne viendrait jamais, toujours à se cacher. Et puis, c'était qui ce gars-là qui lui adressait la parole ce soir-là ?

« Je t’ai vu à Poudlard. Tu étais l’élève transférée de Mahoutokoro, n’est-ce pas ? » Quel beau mensonge sa mère a ficelé. La sorcière qui a réussi à tromper les sorciers britanniques, elle prenait beaucoup de fierté et d’arrogance sur cette action. « A l’époque j’étais qu’en troisième année mais j’ai entendu dire que tu avais inventé ton propre sort de traduction pour déchiffrer tes cours. » Quelle plaie, il est revenu. Qui est-il ? Pourquoi la colle-t-il ? Que pense-t-il obtenir en parlant de cette expérience douloureuse ? Si seulement elle n’était pas emprisonnée par la barrière du langage, Juri aurait été une brillante élève à Poudlard. Si seulement... Les mots la manquaient pour exprimer la tristesse et la solitude qu’elle ressentait à cette époque. Peut-être essaye-t-il de devenir son ami. Non, s'il te plaît, ne reviens pas.

« Vas-tu m’adresser la parole un jour, Julie ? » Non. Jamais. Vas-t-en. Cours. Fuis. Ne reviens jamais. Tu seras maudit toi aussi. Que tout le monde s’écarte, disparaissez. « Tu sais que la mémoire de ton père peut revenir ? » Ses yeux s’écarquillent. Elle dégaine sa baguette si rapidement qu’il se retrouve non-averti et plaqué violemment contre un mur. Son silence est imposant, impressionnant, effrayant. Sa baguette sous le cou du jeune homme, ses sourcils sont froncés et ses menaces sont évidentes. « Il est possible de briser un Sortilège de l’Oubli mais les conséquences sur son corps et son cerveau sont irréparables. Surtout si le sortilège l’habite depuis longtemps. » précise-t-il. Elle abaisse sa baguette, abattue et triste. Le chagrin la parcourt. Elle l’avait perdu depuis longtemps donc. Tout ce temps, il était déjà parti. Elle veut pleurer, elle veut hurler mais sa voix l’en empêche. Elle ne veut pas lui montrer cette voix brisée, cette personne lugubre et affreuse. Reste silencieuse, tout est mieux dans le silence.

« Julie. Comme c’est ironique, je m’appelle Jules. » Elle lui lance un regard assassin. Qu’espère-t-il ? Qu’elle éclate de rire et danse autour d’un feu de camp avec lui ? « Veux-tu travailler pour moi ? » Elle l’ignore à nouveau. « J’ai le pouvoir de te donner une nouvelle identité. Le Ministère japonais ne pourra plus te trouver. » Elle est méfiante. Que sait-il sur elle et sa famille ? Un peu trop et elle n’hésitera pas à user d’un sortilège interdit. Cependant, elle est intéressée, intriguée par sa personne. Elle pose ses yeux sur lui pour la première fois. « Jules, Jules Rosier. » Son cerveau s’active et les données autour des familles sacrées lui traversent rapidement l’esprit. Que fait un prince perdu devant elle ? « Alors Julie, es-tu intéressée ? » Alors sa voix s’élève. « Sore wa Sakamoto Juri desu. » Il ne comprend rien et elle ne lui en veut pas, elle a l’habitude. Elle se corrige d’un anglais pathétique. « C’est Juri. Pas Julie. Je suis Juri Sakamoto. » Il sourit. « Enchanté. » Elle s’incline respectueusement en avant. Hajimemashite crie-t-elle dans sa tête mais l'audace de le prononcer ne la prend pas. « Par contre, il va falloir qu’on retravaille ton accent. Je n’ai rien compris. » « Commencez par retravailler votre façon d’aborder les gens, Young King. » Elle sait ce qu’il veut. Il apprécie son silence, sa discrétion, ses talents. Il sait qu’elle demande de l’affection et il peut lui donner une maison et une nouvelle famille à protéger. En échange, elle doit l’amener au sommet. Juri est muette, pas stupide. Enfin, était. C'est le début d'une grande amitié qui naît et d'une loyauté aussi dangereuse que stupide.

henceforth freedom will be my atonement