Tu dois dormir, dormir comme une pierre tombale. Ne pas bouger, fermer les yeux et espérer que le soleil touche rapidement ta peau. L'enfant âgé de six ans n'y arrive pas, ses paupières sont fermées, le visage de Benjen ne l'abandonne pas. Ses mains tiennent avec force la couverture, sa mâchoire se contracte, son cerveau refuse de faire une pause - il carbure comme jamais auparavant. Orion s'arrête et ouvre les yeux, plus qu'une seule chose à faire. Observer. La chambre est grande, trop grande d'après-lui, mais trop petite pour quelqu'un de son rang. Son lit est collé contre le mur, sous la fenêtre, la porte n'est qu'à quelques mètres, seule une armoire et un genre de bureau l'accompagne toutes les nuits. Une légère odeur de bois chatouille ses narines, lui étire un sourire, sa couverture remonte lentement vers son menton, observer les choses qu'il possède lui fait un bien fou ; car il ne possède pas grand chose, l'enfant, alors il est heureux avec un rien, il est le contraire du gamin sang-pur que tout le monde imagine. Les étoiles sont nombreuses dans le ciel, dessinent des formes qu'il observe tous les soirs, qu'il contemple d'un regard émerveillé. La lune est ronde, pleine, elle l'observe à son tour, semble veiller sur lui. Alors il sourit, Orion, car son sourire c'est son unique atout, son unique arme face aux démons qui se cachent sous son lit ou dans un coin de la pièce. Cette dernière est silencieuse mais un craquement brise cette atmosphère tout en faisant sursauter le gosse. « Retourne dans ta chambre Benjen.. » Se protège avec les mots, avec l'espoir qu'une main ne s'approche pas de ses pieds enfouis sous la couette. Un deuxième craquement résonne, un craquement plus réaliste, comme le poids d'un homme sur une planche en bois, une planche de sa chambre. « Benjen ! » Il hurle si fort qu'il sait pouvoir réveiller son père et la ceinture qui lui entoure la taille. Après s'être rendu compte de sa bêtise vocale, l'une de ses mains vient directement se coller à ses lèvres comme pour empêcher d'autres catastrophes. Trop tard, il approche. De l'autre côté du manoir des bruits sourds se font entendre, une porte qui claque et des pas qui se font vifs, dangereux. Dépêche-toi, il approche. Perdu dans le temps Orion s'empresse de sauter du lit, d'agripper un gilet posé sur le sol avant de s'enfuir en courant vers la chambre de sa sœur Phébé. Il ne fait pas attention à son intimité et pousse la porte en quelques secondes, accourant ensuite vers le lit. « Il arrive Phébé, il arrive ! Il va encore me crier dessus, il me crie toujours dessus.. Benjen était dans ma chambre, il voulait me faire peur, j'en suis sûr ! » Sa grande-sœur ouvre les yeux rapidement en entendant la voix apeurée du petit homme. La respiration du plus jeune se fait rapide, un peu trop rapide au goût de l'aînée qui s'empresse de poser une main sur sa joue et l'autre sur son épaule. « Calme-toi Orion, il ne va rien te faire ici. Nous irons parler avec Benjen dès qu'il sera parti, promis. » Il acquiesce avec rapidité, calme sa respiration et respire enfin plus sainement. Il l'aime beaucoup, Phébé, c'est sa marraine la bonne fée, c'est sa lune qui le protège tous les jours. Son exemple, aussi. Celle pour qui il ferait tout, qu'il veut protéger au péril de sa vie, celle sur qui il aime faire naître un sourire avec ses idioties enfantines. « D'accord.. » Ses lippes s'étirent lentement, petit sourire qu'il aborde dans tous les moments qu'ils partagent, ce sourire blagueur, taquin. La porte claque. L'ombre de Phineas, leur père, se dessine sur le sol. Il ne parle plus, baisse les yeux. La chambre plonge dans un silence glaçant, qui froisse les tripes, qui fait tambouriner le cœur. « Orion. » dit-il avec rage, puissance, brisant en petits morceaux le courage de son fils. La boucle de la ceinture claque contre le sol, fait légèrement frissonner l'enfant qui ne lève toujours pas la tête. « Il n'a rien fait, Benjen était dans sa chambre pour lui faire peur. » la main droite de sa sœur vient caresser son dos, le rassure. Puis d'autres pas, quelqu'un s'approche, maman ? Orion lève la tête, Benjen est là, frotte ses yeux pour mimer la fatigue. Il ne dormait pas, Orion le sait. « Qu'est-ce qu'il se passe encore.. ? » Phineas arque l'un de ses sourcils, observe le bâtard quelques secondes avant de faire claquer une nouvelle fois sa voix. « Alors c'est un menteur. » C'est pourtant la vérité. Benjen était là, dans un coin, le visage armé de son sourire provocateur. Benjen était là, Orion veut le crier, l'hurler, souhaite cogner son demi-frère mais ne bouge pas. Garde les yeux dirigés vers les draps de Phébé. Il n'arrive pas à parler devant son père, intimidé, peureux de dire une phrase de travers. Il n'ose pas le provoquer. Phineas s'avance, ceinture sur l'épaule, il agrippe le cou de son fils qu'il traîne avec force hors de la chambre. La scène est rapide, tellement rapide que les jambes du plus jeune n'arrivent pas à suivre tous les mouvements - il manque de tomber à plusieurs reprises, se rattrape grâce aux murs. « Mère ! » Que lance Phébé avec une puissance qui lui est propre, « Ne mêle pas ta mère avec ça ! » Ils sortent ensembles puis Orion est envoyé vers le sol, il trébuche, n'arrive pas à rester sur ses deux jambes. L'herbe coupée sous les doigts, il lève enfin les yeux vers son aîné. « T'es yeux ! » Gifle qui force l'enfant à ne plus affronter le diable. Sa main droite vient appuyer sur la marque rouge qui commence à se dessiner, il ne parle pas. « Il est grand temps que tu acceptes la présence de ton demi-frère, Orion. Essaye d'être logique, il vient de se réveiller avec le vacarme que tu fais, comment veux-tu qu'il soit dans ta chambre pour te faire hurler comme une fille ? » Il sait que les autres les observent. Il sait que Phébé regarde par la fenêtre, que Malicia doit être derrière elle, que sa mère doit déjà s'avancer vers la porte.. Et que Benjen le regarde dans cette position plus qu’humiliante. « Tu restes ici jusqu'à demain matin. J'espère que le froid va t'aider à ouvrir les yeux. » Il n'est même pas minuit. Un frisson lui traverse le corps, non, pas seul, pas dans le noir, dans le froid. Pas ici. « Père.. » Phineas croit rêver, le gamin ose lui répondre, il ose l'affronter une nouvelle fois. Mais pas la peine de l'abîmer, il est grand temps d'aller dormir - après tout, une journée au ministère avec des cernes sous les yeux, ce n'est pas une bonne chose. « Que je ne t'entende pas toquer. » Le père s'éloigne, laisse l'enfant dans le noir avec pour unique réconfort un draps que lui lance sa sœur par la fenêtre. Orion lève la tête ; Benjen. Était-il en train de dormir ou était-il dans la chambre ? Il est perdu.


Si tu travailles correctement peut-être qu'il changera, avait-elle dit avant de s'éloigner d'un regard débordant de fierté. Sa mère ne perd pas espoir, jamais. Le plancher des Black craque lentement sous son poids, il s'avance avec un papier légèrement froissé dans ses mains, un sourire radieux couvrant son visage. Il est heureux, Orion, ses buses sont terminées et les notes sont tombées. Trois optimal et le reste en effort exceptionnel ; c'est suffisant pour rendre heureux n'importe qui. Devant lui se dresse la porte du bureau de son père, il l'observe quelques secondes, comme pour trouver des défauts avant de glisser ses doigts fins sur la cliche qu'il abaisse avec lenteur. « Père ? » Surprise. Une fois l'accès visuel à la pièce offert, Benjen se dessine, dos à lui, main du père sur l'épaule. Silencieux Orion baisse la tête, ne parle plus, ne s'avance pas. On ne dérange pas le plus beau couple d'Angleterre. « Tu peux partir, je suis fier de toi. » Le frisé fait un léger geste du visage puis s'éloigne dans une démarche assurée vers la sortie, ne manquant pas de bousculer le phasme qu'est son demi-frère. « Je ne t'ai pas dit d'entrer. » Avec une légère retenue le jeune homme relève la tête, croise le regard fuyant de son père. Ses yeux ressemblent aux siens et malgré les tensions, Phineas est le plus bel exemple qu'il puisse avoir. Parfois il se surprend à vouloir lui ressembler dans quelques années. « Je pensais que.. » « Tu sors et tu toques. » La mâchoire d'Orion se contracte quelques secondes, lui donnant un air totalement différent, avant qu'il ne recule pour fermer la porte devant lui. Il ne bouge plus, lève le poing pour claquer ses phalanges contre le bois, il hésite et pose son regard sur ses notes. Elles sont bonnes, tout simplement bonnes, mais son père va-t-il les voir à leur juste valeur ? Toc, toc, toc. « Entre. » Le schéma recommence, la porte est poussée, le bureau revient devant lui. Phineas est installé derrière ce dernier, observe le phasme s'avancer vers lui avec son torchon entre les mains. L'égal d'un domestique. « Qu'est-ce que tu veux ? » Son sourire revient avec lenteur, faire naître deux petites fossettes. Il est mignon, pas effrayant. « J'ai eu mes résultats. Mère m'a dit de venir vous les montrer. » La main du père s'avance avec lenteur, son visage souligne qu'il n'en a rien à faire mais qu'il s'exécute comme un bon père. Un bon père, chose qu'il n'est pas. Le morceau de parchemin est tiré de la main juvénile, ses yeux passent furtivement sur les annotations et un sourire vicieux se dessine sur ses lèvres. « Benjen a eu de meilleures appréciations. » Couteau dans le cœur, le sourire de l'enfant n'est plus, envolé avec l'espoir de briller aux yeux de son père. Pourtant Phineas sourit, un sourire exécrable, repoussant, égoïste, dégoûtant. Un sourire qui fait froid dans le dos du gosse. « Et ce n'est même pas un Black.. C'est désolant, très désolant. » Son souffle est coupé, il ne bouge plus, ne sait pas quoi faire. Partir ? Courir ? Impossible, son père va le rattraper, comme toujours, son père c'est pire que son ombre. Son père, c'est une partie de lui. La pire partie de lui. « Je.. » Les mots ne s'alignent que dans sa tête, ils ne sortent pas, ne caressent pas sa langue. « Tu n'as rien à dire. Nous passons pour quoi à cause de toi, Orion ? Pour des idiots, nous, les Black ? » La voix est différente, froide, dangereuse. L'enfant recule d'un pas. « Tu n'arrives même pas à la cheville d'un impur, comment veux-tu nous représenter ?! » Phineas se lève de son bureau, imposant, un géant. Un titan dans la pièce. Il recule d'un autre pas. « Benjen mérite ta place et toi la sienne, vraiment. » Cœur qui se décompose. Larmes qui montent. Sensible, trop sensible. « Qu'il en soit ainsi. » Orion recule d'avantage, traverse le couloir, l'eau ruisselle sur ses joues rosées. Il pleure comme une fille, comme un gamin touché, blessé, tué de l'intérieur. Au bout du couloir la porte s'ouvre d'un geste rapide de baguette et claque brutalement dans son dos. Disparu dans les couloirs du manoir. Qu'il en soit ainsi.


La nuit est tombée, les étoiles couvrent le ciel, le silence domine les lieux. Orion est installé en hauteur et observe une brune à quelques mètres, cette brune qu'il apprécie tant, cette brune différente des filles qu'il connaît. Car elle est vraie, la brune, elle sait rire, se moquer, s'amuser. Elle sait être différente de la princesse que son sang oblige - même si le nom incite à un tout autre destin. Petite rivière qu'ils partagent comme un couple, point de rendez-vous secret, ils sont seuls. Toujours seuls. Seuls dans leur monde, leur bulle, leur amitié éternelle. « J'ai envie de te pousser dans l'eau, histoire de rire un peu. » Sa voix masculine, bien plus virile qu'autrefois, claque les quelques mots avec amusement. La pousser dans l'eau pour l'entendre rire, pour entendre sa joie voix bercer son esprit, les tensions de sa vie. Il se rapproche lentement d'elle, s'installe au sol, glisse sur les épaules de la belle une veste ramenée.  « Je pensais que tu n'allais pas venir, idiot que tu es.. » Une mélodie vient se mêler à ses paroles, étire un sourire sur le visage balafré du gosse. Elle est belle quand elle sourit, Maeve. Elle est belle tout le temps. « J'ai des choses à te dire.. Sinon je t'avoue que rester chez-moi ne m'aurait pas vraiment dérangé. » Orion tourne son visage, observe le reflet des étoiles sur l'eau mouvant face à eux. Son sourire s'efface. Le silence s'installe une nouvelle fois, il sait qu'elle va finir par se marier et inversement - ils savent mutuellement qu'ils vont s'éloigner. Société qui oblige. Elle va devenir vieille, épouser un homme pour faire gonfler les comptes de sa famille, va devoir subir une vie qu'elle ne rêve pas. Et lui va devoir épouser une demoiselle dont il ne veut même pas savoir le nom, le passé, ni même engendrer son futur. Orion veut rester jeune, veut s'amuser, veut rire avec elle, veut profiter de sa vie avec elle. « Je vais devoir épouser une Rosier, un genre de Cyrissa.. Enfin j'sais même pas. » Pierre qui ricoche sur l'eau, la lune s'efface. S'efface comme le temps qui passe, souvenirs gravés dans la caboche du jeune homme. « Et Phineas veut à tout prix un gosse. Genre, moi, faire un gosse. » Léger rire pour changer l'ambiance. Père qui ne sort jamais à son sujet. « Imagine un bébé avec ta sale tête. Un monstre le pauvre. » Coup d'épaule qui fait légèrement basculer Bulstrode, rire un peu plus prononcé, ils reviennent à la vie. « Je préfère avoir un petit troll qu'une larve sans cervelle, si tu vois c'que j'veux dire. » Taquineries enfantines. « T'es con, vraiment ! » Il pourrait jouer au plus intelligent, mais le rire de sa... meilleure amie ? Le fait chavirer plus que tout sur cette foutue planète. Elle le fait voyager dans d'autres galaxies, Maeve, malgré son intelligence digne d'une courgette. Alors Black l'agrippe, glisse son bras au-dessus de ses épaules pour l'attirer vers elle d'un coup sec et doux à la fois. « Au fait, Maeve. » Elle relève légèrement la tête, lui ne bouge pas, observe la lune reprendre sa place. « Merci d'être celle que tu es. » Merci d'être unique.