La routine du poète est simple.

Rien de bien compliqué, à propos du Régime Poétique : je me levais bien avant le jour, toujours nu, et restais quelques instants dans les draps. J'accédais aux envies du matin d'un tour de main, et quand j'en retirais de la lassitude je me postais aux larges fenêtres. J'avais pris soin d'en défaire les rideaux, d'un rouge trop épais – passion dans le froid du manoir, et toujours dénudé, j'attendais le soleil. L'air frais de la nuit et du jour à peine né sur mon corps frissonnant, m'aidait à penser. Fumer devenait plus facile, et j'avais l'audace de croire que ces heures atypiques m'ouvriraient les portes de la vérité.

Le soleil venu, je n'avais plus aucune raison de rester. Alors, m'enveloppant simplement d'un long habit de soie, je m'en allais vers les cuisines. Un repas frugal m'y attendait, et je m'efforçais de l'engloutir avec lenteur. Puis, deux heures après la lumière, vient celle de la sieste : la courte nuit l'impose. Et rien de ce sommeil ne devait perdre en esthétisme et simplicité. Alors, revenant aux fenêtres du matin, je fermais les yeux, les mains croisées sur le ventre : et je dormais.

Et, sans me soucier du temps, je m'éveillais. Un étirement de chat, et je contemplais le paysage. Alors, je m'autorisais une unique cigarette, consumée du bout des lèvres, sans être affamé. Et le filtre écrasé, déposé dans un cendrier de jade, je m'évertuais à lire jusqu'à la nuit tombée. Les ouvrages d'Oscar Wilde qui m'avaient tant séduit, et je me plaisais à des journées lentes et chastes, pour me plonger dans la diablerie fantasque de Dorian Gray.

La nuit arrivée, et les phrases lues des dizaines de fois flottant encore, je revenais aux cuisines. Les règles n'étaient plus les mêmes : les obligations envers le jours étaient sévères, et sucrées celle du soir. La nourriture était épaisse, et la bouche vorace. Je n'étais rien d'autre qu'un gouffre, nourrissant le corps plutôt que l'esprit.

Régalé, je revenais à l'étage. J'avais souvent du vin des elfes, et une centième cigarette. J'essayais moi-même d'écrire. Je voulais faire sonner les mots, hurler les phrases comme une femme du bout des doigts. Je n'y arrivais jamais, car j'étais tout autant mauvais orateur qu'écrivain.

Ce rituel était réservé aux vacances, durant lesquelles je m'extrayais de toute magie. Si ce n'était me créer un personnage, je ne vois toujours pas ce que j'en espérais si fort. Il fallait être sot pour penser que l'absence de magie me rendrait plus grand : et ce n'est qu'après mes dix-sept ans que je compris enfin le ridicule du manège.

Voyez, j'ai vingt ans et je souffre. Il y a du blanc, il y a des autres. Le gratin sorcier. Même le Frère, et surtout ceux qu'il est déplaisant de voir. Le mal qui me ronge pue, schlingue jusqu'à l'autre bout du Royaume-Uni. Même les Impurs doivent avoir le nez qui frétille : j'assiste, comme un étranger, à mon mariage.

J'ai désiré les responsabilités de l'aînée, la grandeur des gestes ! Et voilà que je ne suis rien d'autre qu'une potiche. Pas moins femme que celle que je découvre sous le voile, et nous scellons ma souffrance.

Le visage est beau, et un instant je crois aimer le bleu des yeux, le rose des joues. Les bruns cheveux, le nez droit, et les lèvres pleines. Puis, il y a cette posture droite et solide, digne et maîtrisée : le regard dément le corps, et il y aura dans ma souffrance la sienne.

Lourd sur moi comme une sentence, et je ne suis pas assez sot pour croire que son cœur bat. L'Enfant Flint, mille fois plus belle que quiconque, vient à se coltiner le pouilleux de la branche mineure ! J'imagine ses mains gantées d'Ambition, de Fougue : et femme est-elle, elle ne peut rien faire. Le destin a un humour grinçant.

Je lui regrette mon Frère, et aimerais hurler : non, ce n'est pas l'homme qu'il te faut, et toi ce n'est pas celle qui te conviendra. Continuer encore, jusqu'à ce qu'on m'entende : tu seras la tristesse de l'autre, et aucun ne parviendra à saisir l'instant. Et pour finir dans une prière : elle est homme, tu es femme, mais vous ne serez pas mari et femme.

Mais je n'en fais rien, car je ne suis que spectateur. C'est la volonté parentale qui place mes lèvres contre les siennes, et celle du mariage d'y croire un peu. »